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  • Richard-Alain JEAN, « Infectiologie (6). Note sur le typhus et autres rickettsioses (1) », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 23 juin 2014.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

INFECTIOLOGIE (6)

NOTE SUR LE TYPHUS

ET AUTRES RICKETTSIOSES (1)

 

 

Richard-Alain JEAN

 

 

 

            Sans qu’il ne soit besoin d’établir la notion de « fièvre typhoïde versus typhus » en Égypte ancienne, tant la probabilité de la présence de ces deux familles d’affections dues aux rickettsies est probable (sauf peut-être pour le TE, cf .infra, Mumiologie), je ne livrerai ici que très rapidement quelques éléments utiles au diagnostic différentiel.

 

           1.  Les rickettsioses

 

            Nous n’aborderons, dans ce travail, que deux rickettsioses cosmopolites avec le typhus exanthématique et le typhus murin, deux rickettsioses du groupe boutonneux pourpré avec la fièvre boutonneuse et la fièvre vésiculeuse, et enfin la fièvre ‘Q’.

            Ces affections [1] ont en commun leur transmission par un arthropode (insecte ou acarien), l’atteinte élective des endothéliums vasculaires, de la fièvre, un exanthème et un tuphos plus ou moins marqué.

 

 


 

 

            1.2. Le typhus exanthématique

 

           De nature épidémique, ce typhus à poux (Pediculus corporis ; et exceptionnellement Pediculus capitis), se caractérise brusquement par des frissons, de la fièvre (40°), des douleurs rachidiennes, des myalgies et des céphalées, un faciès congestionné avec injections conjonctivales et des larmoiements, puis, s’associent un exanthème et un tuphos qui peut alterner ou remplacer des délires hallucinatoires généralement vespéraux. Il n’y a pas de dissociation du pouls d’avec la température, mais un pseudo ‘V’ grippal. La langue est blanchâtre, fendillée, très sèche au point de ne pouvoir être tirée au-delà de l’arcade dentaire (signe de Godelier), voir agitée de secousses fibrillaires. Énanthème palatin et/ou angine rouge fugaces. L’exanthème débute au niveau du tronc, gagne ensuite les membres mais épargne toujours le cou, la face, les paumes et les plantes. Les troubles digestifs sont mineurs. Sans traitement, et dans des conditions très favorables, la maladie pouvait céder après un peu plus de 15 jours. Cependant, les complications aggravaient singulièrement le tableau clinique et la mortalité était importante, bien que faible chez l’enfant, celle-ci passait de 15 % chez l’adulte jeune, jusqu’à 60 % après la cinquantaine.

Il existe en effet des formes malignes, des formes compliquées de surinfections, de myocardites, d’artérites pouvant évoluer en gangrènes sèches, de phlébites, d’encéphalites, et des urémies mortelles.

 

           1.3. Le typhus murin

 

           De nature sporadique et endémique, ce « typhus nautique », « typhus des boutiques », devait correspondre au « typhus des savanes » transmis par la puce du rat (Xenopsylla cheopis) et surtout apportée par le rat noir (Rattus rattus) en saison sèche fuyant les feux de brousse pour se réfugier dans les villages et se localiser préférentiellement dans les greniers et les échoppes ( !) La contamination s’effectue également par l’intermédiaire des déjections pénétrant à l’occasion d’excoriations provoquée par le grattage, mais aussi, bien que beaucoup plus rarement, par l’absorption d’aliments souillés par de l’urine de rat malade. La symptomatologie de cette affection reproduit en moins grave celle du typhus exanthématique. Cependant, l’exanthème est généralisé. Il n’épargne ni la tête ni les paumes, ni les plantes. Le tuphos est réduit, voire absent. Le pseudo ‘V’ grippal est très inconstant. L’évolution peut être favorable, même sans traitement spécifique vers le 15ème jour, sauf chez le sujet faible et l’Africain où il revêt la même gravité, et en particulier en ce qui concerne la déshydratation, les signes myocardiques et encéphalitiques.

 

           1.4. La fièvre boutonneuse

 

           De nature sporadique et endémique, cette affection est principalement transmise par la tique du chien (Rhipicephalus sanguineus), mais aussi par des tiques infestant les rongeurs, les lapins et les bovidés. L’inoculation peut exceptionnellement être remplacée par la voie conjonctivale. Le début peut être brutal avec de la fièvre (40°), des douleurs diffuses, une injection conjonctivale, parfois une photophobie, une raideur de la nuque, une gorge rouge avec un discret énanthème. Il faut alors rechercher le chancre d’inoculation d’apparence furonculoïde ou bulleuse qui évoluera avec la formation d’une escarre et appelé « tache noire ». Ensuite le syndrome infectieux s’associe surtout à des céphalées et une langue saburrale. Pas de dissociation du pouls. L’exanthème est total. On peut encore noter une hépatho-splénomégalie, des urines rares et foncées. L’évolution est généralement favorable, même sans traitement, sauf chez le sujet faible et l’Africain (chez qui l’on trouve 1% de décès). Cependant, hormis les risques de déshydratation, les signes myocardiques et encéphalitiques sont rares, mais les complications oculaires plus fréquentes. Il existe en outre des formes trompeuses, notamment arthromyalgiques, gastro-intestinales, sans tache noire, oculaires (avec conjonctivite, chémosis).

 

 


 

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Les récits des grands auteurs grecs tels Pline, Homère ou encore Aristote font état de la présence de parasites sur les animaux domestiques dès l’Antiquité, toutefois l’identité réelle de ces insectes hématophages, vecteurs potentiels de nombreux pathogènes, restait jusqu’à lors inconnue. Les recherches conduites par deux chercheurs du laboratoire d’archéozoologie du Muséum (UMR 7209) à El-Deir en Égypte lors d’une mission dirigée par Françoise Dunand et Roger Lichtenberg de l’Université de Strasbourg rapportent le premier cas archéologique d’ectoparasitose animale en Égypte Antique. L’étude archéozoologique conduite sur près de 400 chiens momifiés a permis de mettre en évidence la présence de très nombreux ectoparasites sur la momie d’un jeune chien datée de la période romaine. L’étude archéoentomologique conduite sur l’animal a pu révéler la présence massive de la tique brune du chien Rhipicephalus sanguineus Latreille, 1806 (Acari : Ixodidae) et de l’hippobosque Hippobosca longipennis Fabricius, 1805 (Diptera : Hippoboscidae). Le pelage comprenait en outre de très nombreux restes de mouches sarcosaprophages (Diptera : Sarcophagidae et Calliphoridae), source potentielle de myiases. Toutes ces espèces, vectrices potentielles de multiples pathogènes (piroplasmose canine, hépatozoonose, ehrlichiose monocytaire…) pourraient être responsables de la mort prématurée du chien.

Publié en ligne le 3 août 2013 dans l’International Journal of Paleopathology, l’article sera prochainement édité dans un volume thématique "Palaeoparasitology" dirigé par Françoise Le Mort (CNRS, UMR 5133, Archéorient : environnements et sociétés de l’Orient ancien, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon) et Marjan Mashkour (CNRS, UMR 7209, Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements, Muséum National d‘Histoire Naturelle, Paris).

 

           1.5. La fièvre vésiculeuse

 

           De nature sporadique, cette affection est transmise par la piqûre de la tique du rat (Allodermanyssus sanguineus). Il faut rechercher l’escarre papulo-vésiculo-croûteuse d’inoculation et l’adénopathie satellite. Ensuite, il existe une fièvre, un exanthème varicelliforme. Le pronostic est excellent.

 

 


 

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            1.6. La fièvre ‘Q’

 

           De nature sporadique mais pouvant engendrer de petites épidémie, cette affection est transmise par l’absorption et même l’inhalation des déjections de tiques ou les excreta des animaux domestiques (petit et gros bétail) ou sauvages infectés (y compris des oiseaux). Cette maladie peut aussi être contractée par l’ingestion de viande et de lait (même pasteurisé). Le début peut être brutal avec fièvre (39°-40°), céphalées, parfois d’autres signes méningés et un pouls ralenti. Il peut y avoir des troubles digestifs. Puis, s’installe un syndrome pseudogrippal et une pneumopathie avec point de côté, toux, jusqu’à quelquefois des hémoptysies. Une éruption discrète reste exceptionnelle. L’évolution est généralement bénigne, mais plusieurs formes cliniques sont trompeuses et sont susceptibles d’entraîner des complications.

 

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            2. Les textes

 

            Je ne fournirai pas aujourd’hui beaucoup d’autres textes. Les autres descriptions compatibles restent pour le moment trop partielles et moins regroupées pour permettre d’espérer assurer une interprétation approchant ce type de pathologies. Il faut toutefois remarquer qu’un élément diagnostique important, le tuphos, est rapporté comme nous l’avons vu dans deux papyrus différents. Il est également d’une très grande probabilité que les médecins égyptiens aient confondu les tableaux cliniques de la typhoïde et du typhus, comme ce fut le cas en Europe pré-moderne, et jusqu’à pas encore si longtemps [2]. Il ne faudrait alors retenir dans cette confusion légitime que la fièvre, le tuphos, parfois des troubles digestifs comme dans la fièvre Q – et qui peuvent être majorés en Afrique par des contaminations croisées – puis, des signes de complications. Reste à adjoindre bien évidemment un exanthème, en se rappelant que celui-ci peut être exceptionnel dans la fièvre Q, ou que cet élément  voisine avec d’autres problèmes dermatologiques courants, surtout dans les milieux ruraux de l’époque.

 

 


 

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           3. Mumiologie

 

            La présence du typhus dû aux poux sur le continent africain remonterait probablement à l'Égypte pharaonique ; des poux retrouvés sur les momies des pharaons le suggèrerait [3]. Maspero en son temps, puis Ruffer [4] ont bien mis en évidence des « lentes de poux adhérant encore aux cheveux de deux momies », c’est aussi le cas pour une momie nubienne [5]. Des peignes aux dents très fines et serrées utiles pour se débarrasser de ces parasites ont été retrouvés. Or, d’après Marc Gentilini, l’agent vecteur est aujourd’hui le pou de corps « et exceptionnellement, le pou de tête » [6]. Nous savons aussi que les prêtres se rasaient le corps entier tous les deux jours afin que « ni poux ni vermine ne s’attachent à leur personne ». En ce qui concerne la pédiculose du corps, elle correspondrait à la troisième plaie d’Égypte, la dixième serait alors due au typhus exanthématique. Cependant, une étude tend à faire remonter l’introduction du typhus exanthématique en Europe à l’époque des conquistadors espagnols revenant des Amériques [7]. C’est au moins déjà une possibilité pour le typhus exanthématique. Ainsi, à la demande de l’équipe de Didier Raoult, plusieurs poux ont été prélevés sur les cheveux de momies précolombiennes [8] de plus de mille ans par des archéologues péruviens, congelées puis envoyées aux chercheurs afin qu’ils puissent analyser certains gènes caractéristiques. Contre toute attente, les poux de tête et de corps du groupe ‘A’ étaient présents en Amérique bien avant l’arrivée des Européens : « Ces poux auraient été apportés en Amérique du Sud par les premiers habitants, qui ont traversé à pied le détroit de Béring – alors une bande de terre ferme – , il y a plus de dix mille ans », puis, les navigateurs européens auraient alors ramené le typhus et son nouveau vecteur sur le vieux continent.

            La méthode employée devrait être proposée pour étudier les momies égyptiennes. Au cas où cette thèse se confirmerait en Égypte pharaonique, il resterait alors à rechercher de la même façon les autres affections typhiques non dues à R. prowazeki.

 

 

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[1] P. Le Gac, « Affections dues aux rickettsies », EMC, Médecine Tropicale, II, Paris, 1954-1955, p. 1141-1226 (pour l’histoire) ; M. Capponi, « Rickettsioses », EMC, Maladies Infectieuses, III, Paris, 1977, p. 8077 - K 10 (pour la progression). M. Gentilini, Médecine tropicale, Flammarion, Paris, 2005, p. 376-384 ; Y. Hansmann, « Rickettsioses éruptives », EMC, Paris, 2009 : [8-037-I-20] - Doi : 10.1016/S1166-8598(09)44183-8.

[2] Voir encore par exemple : H. Tissot Dupont, « Histoire du typhus », Médecine et Maladies Infectieuses, 25, 6, juin-juillet 1995, p. 823-829 ; G.O. Cowa, « Rickettsial infection », dans G.C. Cook (edt.), Manson's tropical diseases, London, 1996, p. 797-814.

[3] I. F. Burgess, « Human lice and their management », dans J.R. Boker, R. Muller, D. Rollinson, Advances in Parasitology, 36, London, 1995, p. 271-342 (http : // dx.doi.org / 10.1016 / S0065-308X (08) 60493-5).

[4] M. A. Ruffer, Studies in the paleopathology of Egypt, University of Chicago Press, Chicago, 1921, p. 173 ; voir aussi : J. Fletcher, « A tale of hair, wigs and lice », Egypt Archaeol, 5, 1994, p. 31-33 ; J. Fletcher « Ancient Egyptian Hair and Wigs », The Ostracon - The Journal Egyptian Study Society, Denver, 13, 2, Summer 2002, p. 2-8.

[5] G. J. Armelagos, « Disease in Ancient Nubia », Science, 163, 1969, p. 255-259.

[6] Voir encore : Gentilini, op.cit. 2005, p. 378. Le Père Jean Goarnisson, médecin et Père Blanc en Afrique durant plus de 60 ans le pensait également – dans certaines conditions – et ceci d’une façon plus courante sur les sujets féminins à peau glabre ou les enfants.

[7] D. Raoult, D. L. Reed, K. Dittmar, J. J. Kirchman, J.-M. Rolain, S. Guillen, J. E. Light, « Molecular Identification of Lice from Pre-Columbian Mummies », The Journal of Infectious Diseases, 2008, 197, 4, p. 535-543 (http://jid.oxfordjournals.org/content/197/4/535.full) ; L. Geffroy, « Des poux dans la tête des momies », Le journal du CNRS, n° 220, Mai 2008, p. 10 (http://www2.cnrs.fr/journal/3871.htm) ; T. Nguyen-Hieu, G. Aboudharam, M. Signoli, C. Rigeade, M. Drancourt, D. Raoult, « Evidence of a Louse-Borne Outbreak Involving Typhus in Douai, 1710-1712 during the War of Spanish Succession », PloS ONE, doi:10.1371/journal.pone.0015405, 27 octobre 2010.

[8] K. J. Reinhard, J. Buikstra, « Louse Infestation of the Chiribaya Culture, Southern Peru : Variation in Prevalence by Age and Sex », Memórias do Instituto Oswaldo Cruz, n° 98 (suppl. 1), 2003, p. 173-179.

 

 


 

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