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Histoire de la médecine en Egypte ancienne

PNEUMOLOGIE - VI - Conclusion cardio-pulmonaire

Article complet - JEUDI 10 avril 2014 :

PNEUMOLOGIE / PHYSIOLOGIE - IV

Plusieurs articles à suivre

 

Fig

  • Richard-Alain JEAN, « Le système respiratoire en Égypte ancienne (6) Physiologie humaine théologique et royale (4) Conclusion cardio-pulmonaire », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 10 avril 2014.

 

 


 

 

 

 

 

LE SYSTÈME RESPIRATOIRE

EN ÉGYPTE ANCIENNE (6)

PHYSIOLOGIE HUMAINE

THÉOLOGIQUE ET ROYALE (4)

CONCLUSION CARDIO-PULMONAIRE

 

Richard-Alain JEAN

 

 

 

 

            Nous avons vu dans l’article précédent [1] comment les Égyptiens pouvaient avoir perçu les échanges gazeux entre l’air venant de l’extérieur et le sang contenu dans les vaisseaux par l’intermédiaire du cœur et des poumons. Nous tâcherons aujourd’hui pour conclure cette série consacrée à la respiration normale et avant de commencer la physiopathologie, d’extraire encore quelques observations anatomiques et physiologiques fondamentales prises sur plusieurs détails peu commentés de scènes de boucherie, la clinique humaine, une amulette de cœur ramesside et quelques textes anciens dont un extrait d’une légende épique mettant en œuvre une réanimation in vitro du cœur du héros de l’histoire. Enfin, nous terminerons par quelques textes médicaux pharaoniques certes incomplets mais qui nous permettront quand même d’apprécier l’état des connaissances des médecins de l’époque à partir des indices qu’ils nous fournissent malgré les aléas du temps et que l’on peut tout au moins essayer aujourd’hui de décrypter.

           À ce propos, je ne remercierai jamais assez Madame Anne-Marie Loyrette de m’avoir appris au Louvre et en Égypte même à « contempler », mais avec rigueur, une pièce archéologique de façon à en extraire le plus d’informations possible et de tenter de les « reformuler de façon scientifique » tout en restant au plus près de l’intention de son concepteur afin de pratiquer « dans son contexte » une véritable « exégèse de l’objet muséologique » concerné.

 

 


 

 

2

 

            1. Observations anatomiques et physiologiques

 

            1.1. Dissection animale et clinique humaine

 

            Si l’on ouvre un cœur issu de la chasse ou de la boucherie on constatera toujours la présence d’air dans les cavités gauches. Ce qui est normal dans la mesure où les vaisseaux d’apport (les veines pulmonaires) ont été sectionnés et que les dernières contractions du cœur extrait (cf. infra) ont vidé la crosse de l’aorte elle aussi tranchée mais plus bas (fig. 2 et 3). En revanche pour la partie droite, il est possible de trouver des restes de sang non expulsé, piégé par l’action passive des systèmes valvulaires caves supérieur et inférieur. C’est la raison pour laquelle les anatomistes grecs ont fait la même erreur. En réalité, on peut aussi se demander si les Égyptiens n’ont pas mieux « pris le temps » d’examiner les dépouilles. En effet, il est souvent fait état dans les textes d’air, de sangs, et d’eaux. Ce qui peut tout à fait correspondre à des observations étagées dans la durée. Par exemple, si l’on prend un cœur et qu’on l’ouvre immédiatement après l’avoir ôté de la poitrine, on trouvera bien du sang liquide dans les cavités droites. En revanche si l’on attend, on détectera une masse gélatineuse rouge foncée correspondant à l’hémostase. Si l’on patiente encore plus longtemps avant de regarder, on tombera sur des coagulums solides plus ou moins adhérents baignant dans un sérum jaune. Ensuite, les caillots noirs se contracteront encore pour se solidifier tandis que la lyse des hématies rendra un sérum plus rosé. Enfin la présence de liquide annoncera le début de la dissolution organique. Parfois encore, une sérosité peut s’échapper du péricarde.

           En ce qui concerne l’effraction des grosses artères, et au moment de l’abattage, elles sont jaillissantes de beau sang rouge vif jusqu’à ce que la bête soit à peu près complètement saignée, soit après une durée d’environ cinq minutes. Ensuite, elles paraissent vidées mais pas complètement pour un observateur attentif et patient. En effet, il est toujours possible de trouver un peu de sang stagnant, surtout dans les situations déclives, comme dans un siphon. Et ce sang subit les mêmes transformations dans le temps que celles décrites plus haut. Il existe encore un autre détail avec la vascularisation capillaire de la paroi de ces gros vaisseaux qui peuvent saigner un peu.

           De plus, et chez l’homme les chirurgiens militaires en ont été très sensibilisés au cours des guerres [2] et ces faits ont bien été relatés dans les détails, les béances artérielles peuvent se contracter dans un premier temps pour éventuellement et le plus souvent se relâcher ensuite. Ceci correspond à la manifestation dite de la « plaie artérielle sèche ». Ainsi avec une plaie circonférentielle (section totale), il existe souvent une rétraction des deux moignons artériels associée à une contraction réflexe de la media qui, obstruant la lumière artérielle, assure une hémostase spontanée (fig. 3). Dans ce cas, lors de l’observation du blessé, l’hémorragie s’est tarie en raison du collapsus ou des mécanismes réflexes. L’examen clinique met alors en évidence un caillot plus ou moins battant au contact du pédicule. Une hémorragie veineuse noirâtre continue est souvent associée.

           Ce phénomène existe de la même façon après une section franche chez une bête blessée au cours d’une chasse. Et l’hémorragie est susceptible de reprendre à vive allure au moment d’une manipulation telle que l’achèvement, ou encore lors du transport du gibier laissé pour mort et que l’on n’a pas saigné avant d’emporter. Bien entendu, sur le sujet qui a succombé, cet aspect de défense de l’organisme n’est plus visible. Et chez l’animal abattu de façon réglée en boucherie, ce temps fait partie du premier espace local d’évacuation sanguine.

            Ainsi nous voyons que tout dépend de la qualité du regard des hommes et du temps passé à réaliser et à noter ces différents stades, qui sont tous pour ce que nous décrivons maintenant, immédiatement accessibles aux moments des diverses observations menées à toutes les occasions naturelles ou provoquées pour les besoins de l’étude ou de l’enseignement. Or les Égyptiens étaient, nous le savons, particulièrement curieux et pointilleux sur les détails de la vie courante jusqu’à tout consigner. Ils se révélaient donc encore plus fortement attentifs aux événements prévisibles, rituels, réglés, ainsi que nous le verrons, pour économiser les vies et les valeurs de combat engagées à l’occasion des grands travaux ou des campagnes militaires, surtout quand ces dernières étaient lointaines et longues. Ce fait correspondait également aux intérêts pragmatiques et bien compris du royaume.

 

 


 

 

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           Il nous en reste quelques traces écrites et nous en retrouverons d’autres dans des scènes actives de batailles ou de récupération physique dans les campements militaires, comme par exemple celles représentées sur les parois du Ramesseum et que j’ai longuement explorées [3].

 

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           1.2. Autonomie cardiaque

 

            J’ai déjà dit ailleurs que les anciens médecins égyptiens ainsi que les vétérinaires avaient bien remarqué l’autonomie du cœur qui continue à battre quelques instants lorsqu’il vient d’être prélevé du thorax d’un bœuf ou d’un gibier [4]. Or, cette faculté se trouve être transitoirement facilitée par une bonne hydratation et un semblant d’aération-respiration. Il s’agit donc ici d’une réflexion menée sur la base de deux observations successives, la première étant faite tout de suite après le prélèvement, la seconde, réalisée à partir d’une dépose de l’organe dans un liquide capable de le « maintenir un moment », puis, nous dit la légende de Bata, de le « réanimer », le temps d’être à nouveau repositionné « à sa place ». Cette « opération » nécessite bien entendu une permanence du « souffle vital ». C’est la raison pour laquelle je l’introduis dans cet article consacré à la physiologie de la respiration.

 

 


 

 

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           Aussi, je regrouperai ici rapidement et par commodité quelques scènes de boucherie gravées dans des tombeaux datant de l’Ancien Empire, puis, je démontrerai également cette suite cardio-respiratoire d’importance avec un texte du pOrbiney datant de la fin de la XIXe dyn. aujourd’hui conservé au Bristish Museum (101183). Cet enchaînement put à son heure influencer grandement la pensée médicale en Égypte.

 

            Mastabas

 

            La peau de la victime est tranchée. Les chairs et les os sont écartés. Un des opérateurs plonge la main dans la poitrine de l’animal [5] :

 

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            Bien entendu dans cette situation particulière, le cœur de l’animal qui vient juste d’être prélevé se contracte encore grâce à son autonomie. Ceci correspond à une juste observation du boucher. Sans le savoir, il était le témoin d’un reste de l’action du système nerveux intrinsèque (tissu nodal) [7]. Les savants de l’époque ont dû s’interroger et largement deviser sur ce qui allait devenir l’un des sujets de leur philosophie. Ce phénomène participa vraisemblablement à la représentation de l’indépendance du cœur que j’ai déjà abordée avec notamment son aspect « souverain » [8].

 

 


 

 

5

 

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            Dans cette séquence, le cœur jugé sain (wʿb) encore palpitant de la victime est déposé dans un vase, ou dans une bassine de sang. Dans ce dernier cas, il peut encore continuer à battre un court laps de temps. Ceci renforce l’idée qu’un cœur se trouve « en sa place » dans le tractus cardio-pulmonaire, ou comme ici furtivement, dans une représentation fluide et solide de son milieu naturel. Le sang joue donc aussi par conséquent son rôle en interne de l’organe en le remplissant et en l’entourant comme une chair liquide. Nous allons voir que cet ensemble pouvait avoir été compris comme une sorte de « perfusion » probablement à la fois nourricière et incluant son aération productrice des forces nécessaires au renouvellement de ses battements.

 

           La légende de Bata

 

           Selon Le Conte des deux frères, Bata [9] annonce qu’il va s’arracher le cœur (3ḥty) et le mettre en sécurité au sommet de la fleur du pin parasol. Il indique ensuite la façon dont il faudra réanimer ce noble viscère (8,5). Ensuite et selon sa prophétie, son cœur est retrouvé sous la forme d’un cône cordiforme de cet arbre (ou un grain de raisin sec) et sera placé dans un bol d’eau fraîche par Inpou, son frère. Une fois le liquide absorbé et à sa place (en phase), l’organe se remettra à battre et Bata reviendra ainsi à la vie (13,5-14,1).

           Il faut également noter que son frère sera averti de façon à intervenir d’urgence (ḫpr mdj) pour réaliser cette opération quand on lui mettra en main un pot de bière et qu’il débordera. Or, c’est la mousse qui fait déborder la bière. Ceci pourrait bien se rapporter au besoin de vitalité à retrouver du sang frais de Bata pulsé par son myocarde et riche en fines diffusions pneumatiques opérationnelles et donc fonctionnelles. On lui apportera aussi du vin, et celui-ci se troublera … encore l’action d’un produit vivant capable de former des bulles minuscules par fermentation pendant sa formation, puis, du vinaigre avec une mère à la couleur d’un coagulum de sang. Le même effet peut se produire avec du vin de dattes [10].

           Dans cette image de survie, le grain séché absorbera l’eau fraîche et son propriétaire « se mit à frémir de tous ses membre » devant ce cœur ranimé. Il n’y avait plus qu’à le réintégrer dans son corps « à sa place ». C’est cette « perfusion » qui permit qu’il se reprît à battre. Toutes les parties vivantes de Bata revenaient à la vie en « frémissant », y compris nécessairement le cœur (3ḥty) renaissant dans son bol car il était à nouveau « en phase » avec son milieu corporel. Ceci peut également rappeler la naissance au petit matin dans un vase (Pyr. 437 et 1185), avec la fonction du « pot » utérin de la déesse Nout et de la renaissance du cœur dans un autre cœur comparé au premier maternel (jb). En effet, cœur et utérus paraissent doués d’une indépendance presque comparable [11].

 

 


 

 

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            Cet épisode renvoie immédiatement à une expérience de laboratoire que les Égyptiens ont pu réaliser d’une façon plus simple bien avant nous. Cette classique manipulation se déroulant maintenant au cours des « travaux pratiques » de sciences naturelles et de médecine consiste à perfuser un cœur isolé de grenouille, de souris ou d’un autre animal avec du liquide de Ringer afin de voir se manifester l’autonomie cardiaque dont nous avons déjà parlé. Cette solution physiologique hydrique alcalinisante a la propriété de maintenir un organe en vie le temps nécessaire à son observation pédagogique. Il est constitué principalement d'eau, de sels et d’un tampon pour maintenir le pH constant. Pour un temps limité, une faible solution de natron peut faire l’affaire. L’eau fraîche employée dans le Conte des deux frères fait référence à son pouvoir régénérateur, pouvoir qui a donc pu être observé sur le cœur dans une bassine de liquide pour nous plus ou moins fidèlement physiologique mais suffisant pour le temps de l’observation. Nous avons vu plus haut que les cœurs des animaux de boucherie étaient parfois déposés tout de suite après leur prélèvement dans des récipients qui servaient à recueillir le sang, un excellent liquide physiologique ! (cf. supra pEbers 855 l. 101,8).

 

           1.3. La qualité du sang

 

           Au moment de l’abattage, un vétérinaire constatait que la viande était saine, mais aussi que le sang était « pur » :

 

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            Dans cette scène, le vétérinaire constate que l’aspect et l’odeur du sang du bovin sont compatibles avec l’offrande et aussi la très pratique consommation humaine de l’animal car il n’est pas ici souillé par une infection ni une décomposition. Bien entendu, cet acte de contrôle biologique est calqué sur ceux réellement pratiqués lors du vivant même de la personne et il continue à l’être dans cette représentation symbolique pour toute son éternité. Dans la mesure où le défunt ne peut pas mourir une deuxième fois, même par empoisonnement alimentaire, cette vérification de pureté se rapproche de celles effectuées pour les sacrifices aux dieux, ce qui est normal puis qu’il correspond désormais à l’Osiris N.

 

 


 

 

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           Sur le plan de la pratique quotidienne, l’on peut comparer cet acte à la vérification d’un « bon lait » car non dissolu, et qui par conséquent ne sent pas le poisson pourri, archétype de la dégradation organique, et dont l’absorption peut entraîner des maladies éventuellement mortelles (pEbers 796. 94, 8-10 / 788. 93, 17-18) [12]. Le rôle du vétérinaire est donc bien ici de nature prophylactique et médical, comme aujourd’hui.

           Les médecins et les chirurgiens examinaient aussi très attentivement le sang des plaies. Les textes médicaux égyptiens sont formels à ce sujet et décrivent des situations physiologiques comme l’hémostase ainsi que des anomalies dont les hématomes abordés dans mon article précédent. Certains sangs dont je reparlerai prochainement étaient aussi compris comme susceptibles de « manger » (wnm), puis de propager des affections internes : ce n’est certes pas erroné quant au principe, par exemple dans les gangrènes qui de plus peuvent être « gazeuses » et délivrer un air très « vicié » au rebours de la respiration, et cela confirme encore ici son rôle « porteur » de petites bulles bien nauséabondes quand les chairs ne sont plus « perfusées » d’une façon efficace. Ce qui est en gros correct dans cette image égyptienne.

 

           Le fait de voir un cœur cesser de battre, même baignant au sein de son milieu sanguin originel dans une bassine, pouvait éveiller dans l’esprit de l’expérimentateur l’idée définitive que celui-ci devait être au plus tôt réimplanté dans le corps de son propriétaire, en l’occurrence celui de Bata, afin qu’il puisse cette fois bénéficier d’un bon souffle respiratoire et être capable d’assurer à nouveau la bonne distribution du sang renouvelé. Ceci marque bien une différence entre « les sangs », sous entendu l’un bon et l’autre devenu vicié, impropre au maintien d’une bonne santé – comme nous l’avons dit du lait (fig. 7).

 

           2. Les circulations sanguine et aérienne

 

           Comme je l’ai déjà indiqué ailleurs, quelques extraits papyrologiques et quelques objets conservés dans nos musées nous donnent une idée de la conception égyptienne des circulations sanguine et aérienne. On se reportera également à ma partie anatomique. Voici donc quelques passages pris dans les textes médicaux pharaoniques, suivis de la description d’une amulette du musée du Louvre.

 

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           Notes. – (1) sm3 « poumon » :même remarque que précédemment concernant le mot sm3. Il doit s’agir ici de la description d’une masse pulmonaire unilatérale.

           (2) Comme nous savons que ce livre correspond à une compilation, des parties peuvent être manquantes ou mal raccrochées. En ce qui concerne la rate placée à cet endroit dans le texte, il doit s’agir ici de la fonte en un seul de deux plus anciens stiques. La partie confondue au cours du temps par les copistes et qui a de ce fait disparu a pu être : « Il y a quatre mtw pour la rate (nnšm) : ce sont eux qui lui donnent du liquide (et de l’air) ». En effet, dans ce texte en désordre (le foie est placé avant en 854 l. 100, 8-10), il doit manquer ici deux passages vasculaires abdominaux décrivant l’un le tronc cœliaque et l’autre une partie mésentérique. Ils sont chacun trop importants quant à leur taille respective et visibilité pour avoir été oubliés lors de la composition de la première rédaction. J’aborderai dans le prochain article une autre raison d’origine physiopathologique.

 

 


 

 

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           Cette tétrade assez précise peut correspondre à la bronche souche, à l’artère pulmonaire et aux deux veines pulmonaires supérieure et inférieure se regroupant au niveau du hile.

 

           2.2. Interprétation d’une amulette de cœur du Musée du Louvre

 

            Cette amulette en jaspe (Louvre, AF 2333) retrouvée sur la momie du prince Khâemouaset (fils de Ramsès II - XIXe dyn.) (figs. 5 et 6) est intéressante car elle pourrait bien nous montrer plusieurs éléments importants dans sa composition. Par exemple, une croix centrale limitée au tiers supérieur signale les septums interauriculaire et interventriculaire, donc des oreillettes et des ventricules bien séparés. Les deux coronaires importantes sont signalées sur les côtés. En suite, trois vaisseaux seulement sont situés à la partie haute et ce n’est peut-être pas un hasard car les Égyptiens n’avaient pas pu manquer les autres. De plus, par analogie, ils sont rendus en forme de crosse, probablement pour faire allusion au croisement des deux artères pulmonaires sous l’artère aorte. Or, ce sont précisément ces gros conduits qui débouchent dans les ventricules par l’intermédiaire de la valve sigmoïde à droite pour charrier le sang bleu aux poumons, et, de la valve aortique à gauche pour redistribuer cette fois le sang rouge à tout le corps. Nous avons probablement ici dans cette présentation, une distinction volontaire des deux systèmes. Les apports « veineux » (vaisseaux amenant le sang au cœur) ont été passés sous silence au profit des apports « artériels » (vaisseaux faisant sortir le sang du cœur). En effet, il est absolument impossible que les médecins n’aient pas vu les énormes troncs caves supérieur et inférieur, pas plus qu’ils n’aient perçu les veines pulmonaires. Simplement dans cet esprit sont privilégiés les mtw creux efférents capables selon cette philosophie d’infuser aux poumons un premier sang pour ensuite le dispenser – avec sûrement des effets bénéfiques escomptés en tant que deuxième sang – vers la circulation générale.

            Nous savons que les médecins percevaient les bruits du cœur et qu’ils étaient recherchés durant l’approche clinique. Or, un bruit jugé plus important par les Égyptiens j’y reviendrai, devait correspondre à une double éjection systolique ventriculaire marquée par un son cardiaque en rapport avec le pouls artériel et donc le désignant dans l’esprit du praticien de l’époque comme le plus significatif car il correspondait à la chasse sanguine dans tout l’organisme. Cette phase résulte de l’action visible du tissu nodal aperçu quelques instants, nous l’avons vu, même après la mort, ou, pendant la réanimation liquidienne par immersion. Ceci nécessite une « force » interne et indépendante produite et propagée par des mtw constitutifs de l’organe. J’ai avancé que les savants en avaient déjà une notion expérimentale certes limitée, mais parlante à leurs yeux.

 

 

 

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           Cependant, les textes nous manquent cruellement pour engager une plus longue dissertation. Peut-être en retrouverons-nous un jour de moins fragmentaires et de plus précis pour compléter ce que nous pouvons pourtant dès maintenant entrevoir, après analyses et confrontations textuelles et muséologiques, de la perception de la physiologie cardio-respiratoire pharaonique. Il nous reste tout de même quelques pièces muséologiques à interpréter, notamment celle-ci sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.

 

 

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            3. Physiologie cardio-respiratoire

 

           3.1. Les textes égyptiens expriment clairement que le rôle du bloc cœur-poumons est de faire passer l’air ambiant jusqu’à l’intérieur du système circulatoire afin de le redistribuer :

 

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           Puis, sans encore vraiment aborder la physiopathologie, c’est la raison pour laquelle je ne donne encore ici que des fractions de textes, voici deux autres extraits :

 

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           Note – (1) Il s’agit bien entendu encore ici des poumons, car la masse pulmonaire (sm3) est bien constituée, chez l’homme comme chez l’animal, de plusieurs lobes qui contiennent « les sangs » qui y arrivent et en repartent – et en aucune façon pour les Égyptiens se dirigent normalement vers la trachée. Le cœur est bien situé ici « à sa place dans » (ḥr s.t=f m), c’est à dire au centre de la cavité médiastinale qui lui est dévolue (entre les poumons).

           Ces passages sont très importants car ils montrent bien que les médecins de l’époque avaient compris le but de la respiration : ainsi modifiés par leurs interactions avec l’air extérieur (processus d’assimilation/dissimilation (fig. 7 ici même + fig. 9 et 21 de l’article précédent), « les sangs des poumons » (znfw.w nw sm3[w]) pulsés par le « myocarde » (3ḥty) sont destinés à « vivifier » l’ensemble du corps par l’intermédiaire des vaisseaux (mtw).

 

           Les anciens savaient aussi que pour être efficace, le sang devait absolument être liquide (mw) :

 

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PtoLex. p. 269 « be dry » (être sec). Ici le cœur manque de liquide et non de composés du sang comme les éléments figurés pour nous (hématies, globules blancs, plaquettes) qui se concentrent en une masse « agglutinée » (dm3), c’est-à-dire un caillot. Le diluant correspond bien en biologie à du sérum, donc à un produit biologique principalement composé d’eau. Cet ensemble, ainsi visiblement à l’œil nu dissociable, est, quand il est uni et donc coulant, capable de se déplacer aisément comme un courant circulant dans les mtw de tout l’organisme. Il pouvait être véritablement compris comme le « courant sanguin ».

 

            Ces notions sont plus importantes qu’il n’y paraît à première vue car il ne s’agit pas seulement ici d’assurer la fluidité – encore que cela soit indispensable – mais aussi, de faire en sorte de favoriser les divers stades d’absorption, de transport et de mise en action des forces normalement libérées par les liquides circulants, puis, de l’élimination des déchets produits à cette occasion [13]. J’ai déjà parlé en physiopathologie cardiaque de la notion de « tonicité » et de la « pression » qui doit être maintenue « florissante ». Cela permet que les forces mises en œuvre soient suscitées de façon physiologique, et même déjà à l’époque, expérimentale (cf. supra : 1.2. Autonomie cardiaque).

 

         4. Dynamique physico-chimique et organique

 

         Certains détails de l’ancienne conception médico-pharmaceutique peuvent également nous aider à comprendre les raisonnements anatomiques et physiologiques pharaoniques.

 

            En effet, les processus biologiques correspondant aux phénomènes biophysiques et biochimiques d’absorption-assimilation sont représentés dans les textes par les notions bien décrites de celles, donc pharmacodynamiques cette fois, qui autorisent l’action d’un médicament sur les mtw. Ainsi les mtw pleins musculaires sont sensibles aux onguents décontracturants quand ils sont portés à leur contact et ceci au travers de la peau qui réalise une première absorption avant d’en délivrer sous elle les substances actives à ceux qui vont en bénéficier (pRamesseum V, n° XV …). De la même façon, les mtw sanguins sont accessibles aux médications et ils s’en trouveront « soulagés » (snḏm) (pEbers 161. 33, 12-13), « calmés » (sḥtp) (pChester Beatty 2), et après « cicatrisation » (ssnb : mot ici à comparer à ssn « respirer ») locale (sous-entendu par le contexte des mtw sanguins de l’anus ainsi « guéris ») (pEbers 162. 33, 13-15). Les vaisseaux en seront « vivifiés » (sʿnḫ) (pChester Beatty 18). Dans cet esprit, l’assimilation tissulaire aérienne fait vivre. Il faudrait aussi parler du sang qui « mange » (wnm) bien qu’il soit le plus souvent signifié dans des accusations malignes. Mais ceci doit être aussi compris comme un processus actif d’absorption direct dont il détient la possibilité grâce à sa propre constitution (tissu liquide / couleur solide). Ainsi, quand le sang s’attaque à la chair, c’est pour la déliter (au sens minéral), puis la diluer (au sens organique), pour enfin l’assimiler (au sens physique). On pourrait dire qu’il la transforme en couleurs par lui assimilables. De couleurs solides elles passent à l’état de couleurs liquides. Or, nous savons aussi que des bulles participent à ce festin et qu’elles sont d’origine dissimilatives. Les Égyptiens connaissaient d’autres exemples, mais cette fois positifs, avec les bières colorées et les laitages fermentés comme je l’ai déjà indiqué. Le sang pouvait donc « absorber » (wnm), par l’intermédiaire des voies digestives et des voies respiratoires, d’autres bulles, et les distribuer. Il pouvait donc aussi collationner et rendre des mauvaises bulles, physiologiques (pour nous CO2), ou pathologiques, comme des souffles et des esprits mauvais.

 

 


 

 

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            En ce qui concerne la pharmacopée égyptienne, plusieurs médications sont intéressantes.

 

           Ainsi, du parenchyme (jmj) de poumon (wf3) frais de taureau, à prendre oralement, – dans une préparation mousseuse formée de bière et d’autres produits fermentés – , est proposé en cas de morsure de serpent (pBrooklyn § 72b). Ce n’est pas étonnant, car l’on sait que certains venins d’animaux venimeux peuvent provoquer des dyspnées importantes, voir entraîner l’asphyxie par paralysie des muscles respiratoires. C’est notamment le cas de la très dangereuse sécrétion neurotoxique du cobra égyptien (Naja haje Linnaeus 1758, de la famille des Elapidae) [14]. Dans cette formulation, la texture même de ce tissu particulier constituée de sites alvéolaires crissant sous les doigts, est bien comprise par les prescripteurs, qui semblent espérer catalyser un échange gazeux positif en apportant de cette chair très visiblement spongieuses et spécialisée, plus, des bulles véhiculées par les liquides fermentés. Dans ce cas, une interaction thérapeutique calquée sur le mode physiologique normal à rétablir est attendue.

 

            Dans plusieurs autres textes, c’est de la rate (nnšm) de taureau, qui, appliquée localement par exemple avec un produit spumeux de dattes (zrmwt) comprenant leurs levures naturelles (Saccharomyces uvarum et/ou Cerevisiae[15], – donc, et selon notre expérimentation, une purée montrant très rapidement de grosses bulles et des bulles moyennes en tout début de fermentation – , est appelée à régulariser les mtw (pEbers 665. 83, 9-10). Ailleurs, c’est encore la même glandes (nnšm) qui doit aider à dissiper un hématome, c’est-à-dire, participer à favoriser la dispersion/dissimilation de ses couleurs … et donc de ses composants devenus inutiles (pEbers 738. 89,1).

 

 

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[1] R-A. Jean, « Le système respiratoire en Égypte ancienne (5) Physiologie humaine théologique et royale (3) Les sceptres pectoraux et l’assimilation pneumatique », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 14 mars 2014.

[2] P. Huard, Étude sur les amputations et désarticulations des membres, Hanoï, 1940.

[3] Voir déjà par exemple pour le moment : R.-A. Jean, L’Art vétérinaire et la naissance des bovins dans l’Égypte ancienne, Biltine, 1998, et réimpression anastatique en 2011 ; 3e édition revue et augmentée en 2012, p. 9 et fig. 8-9 pour les soins vétérinaires ; et : R.-A. Jean, La chirurgie en Égypte ancienne. À propos des instruments médico-chirurgicaux métalliques égyptiens conservés au musée du Louvre, Editions Cybele, Paris, 2012, p. 23 et fig. 21-23 pour les soins aux soldats.

[4] R.-A. Jean, op.cit. Chirurgie, 2012, p. 16.

[5] P. Montet, « Les scènes de boucherie dans les tombes de l'Ancien Empire », BIFAO, 7, 1910, p.41-65. P. Montet, Scènes de la vie privée dans les tombeaux égyptiens de l’Ancien Empire, Strasbourg, 1925, p. 150-179. J. Vandier, Manuel d'archéologie égyptienne, IV (1964), V (1969) et VI (1978), Picard, Paris.

[6] F.W. Bissing, Die Mastaba des Gem-ni-kai, Berlin, 1905-1911.

[7] Le nœud de Keith et Flack (nœud sinusal) situé dans la paroi de l'oreillette provoque la systole auriculaire. Le nœud auriculo-ventriculaire d'Aschoff-Tawara ; le faisceau de Hiss situé dans la cloison inter-ventriculaire ; le réseau de Purkinje situé dans la paroi des ventricules aboutissant aux myofibrilles ventriculaires donnent la systole ventriculaire.

[8] R.-A. Jean, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, juin 2013, p. 42-46 ; R.-A. Jean, « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 06 mai 2013 ; R.-A. Jean, « Notes complémentaires sur le cœur en place, embaumé, ou perdu en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 20 mai 2013 ; R.-A. Jean, « La place du cœur dans les anthropologies égyptienne et comparées. Perspective médicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 3 juin 2013 ; R.-A. Jean, « Le cœur cérébral en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 27 juin 2013 ; R.-A. Jean, « Le cerveau cardial en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 juin 2013.

[9] A. Gardiner, Late - Egyptian stories, 1932, Reprint, Fondation Égyptologique Reine Élisabeth, Bruxelles, 1981, p. 17-18a, 23-23a – 25-25a ; G. Maspero, Les contes populaires de l’Égypte ancienne, Paris, 1900, p. 11, 15-16 ; F. Lexa, La magie dans l’Égypte ancienne, Paris, 1925, II, p. 190-191 ; G. Lefebvre, Romans et contes égyptiens de l’époque pharaonique, A. Maisonneuve, Paris, 1952, p. 148-149, 153-154 ; P. Grandet, Contes de l’Égypte ancienne, p. 102, 106. Pour une bibliographie plus importante, voir : E. Brunner-Traut, « Papyrus d’Orbiney », dans IV, 1982, col. 697-704.

[10] Voir pour les produits de fermentation : R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, La mère, l’enfant et le lait en Égypte ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. Aufrère (éd.), éd. L’Harmattan, coll. Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne, 2010s, p. 141-144 ; 370-371 ; 443-444 ; et « Produits biologiques » p. 481.

[11] Voir encore : R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, op. cit. 2010, p. 34-35.

[12] R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, op. cit. 2010, p.104-111.

[13] Voir pour la mise en action des forces : R.-A. Jean, « Le système respiratoire en Égypte ancienne (5) Physiologie humaine théologique et royale (3) Les sceptres pectoraux et l’assimilation pneumatique », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 14 février 2014.

[14] J.F. Trape, L. Chirio, D.G. Broadley, W. Wüster, « Phylogeography and systematic revision of the Egyptian cobra (Serpentes : Elapidae : Naja haje) species complex, with the description of a new species from West Africa », Zootaxa, 2236, 2009, p. 1-25.

[15] R.-A. Jean, A.-M. Loyrette, op.cit. 2010s, p. 371.

 

 


 

  

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