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Histoire de la médecine en Egypte ancienne (ISSN 2270-2105)

NEUROLOGIE - V

 

Dernier article complet - samedi 29 juin 2013 :

NEUROLOGIE - V (conclusion 2)

 

Canopes Louvre - 3e PI

Canopes - Louvre

 

  • Richard-Alain JEAN, « Le cerveau cardial en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 juin 2013.

 

 

LE CERVEAU CARDIAL

EN ÉGYPTE ANCIENNE

 

Richard-Alain JEAN

 

 

« Ô mon cœur (jb) je suis ton maître ! »

(Livre Second des Respirations, XXII,1) [1]

 

Afin d’illustrer la très ancienne histoire de la lutte d’influence d’un organe centre contre un autre, et parmi des arguments déjà cités au nombre desquels une certaine reconnaissance de la prééminence du « chef » politique, et par suite corporel, il convenait de choisir quelques-uns des éléments les plus rapidement accessibles et de les resituer dans leurs contextes symboliques.

Aussi, je ne reprendrai ici que des conclusions susceptibles d’éclairer quelque peu la notion de passage et de continuité d’une représentation dans l’autre sans que cette dernière soit pour autant et formellement assurée du triomphe définitif de sa forme et de sa pérennité.

Nous avons vu que le cœur devenait, de haute lutte, « cérébral ». Nous allons maintenant pouvoir constater que son reflet va être transcrit le plus naturellement du monde, sur la face des hommes, c’est-à-dire au devant de la tête surmontant le corps, mais aussi au-dedans. Ainsi le cerveau prend cœur dans son réceptacle nommé « le coffre de la tête » (hn n tp) de la même façon que le cœur prenait son centre « en sa place » appelé « coffre (thoracique) » (hn). Le cœur était assuré de sa continuité vasculaire entre autres par « le récepteur » (šspw) et les metw creux délégués ; le cerveau était lui prolongé par la moelle épinière et les metw pleins blancs qui lui font suite (les nerfs). Les savants de l’époque ne pouvaient que s’accorder sur ce parallélisme. Sans bien entendu en comprendre tous les mécanismes physiologiques, les prêtres et les médecins fonderont toutefois le particularisme individuel avec la notion de « personne » attachée à un être et reconnaissable à son visage supportant sa qualité profonde distribuée en son « fort intérieur » localisé dans les points cliniques vitaux majeurs de l’organisme (crâne, thorax). Ici l’avantage revient aux prêtres médecins, et l’on pourrait y voir une très ancienne influence du clergé de Sekhmet [2].

En essayant de remonter au plus haut possible dans l’histoire de la création de l’Égypte, on aura quelques difficultés à localiser le cœur d’Osiris alors que sa tête finit par apparaître dans son reliquaire abydénien jusqu’à continuer à demeurer dans un hiéroglyphe spécial déterminant le nome de This (Tȝ -wr) et le dieu lui-même (R17 et var.).

 

Tableau 1

 

 

Si la nébride contenant les sanies d’Osiris peut d’une certaine façon être considérée comme l’ancêtre des vases canopes, et si ces derniers sont traditionnellement pourvus des têtes des fils d’Horus répondant des viscères du défunt, c’est qu’à une période charnière originelle, puis à d’autres moments, les identifications sacrées avaient besoin de marquer leurs différences pour continuer à exister. Par exemple, la tête du mort est remplacée par les têtes de chacun de ces protecteurs à partir de la fin de la XVIIIe dynastie. Comme plusieurs divinités classiques, l’un d’eux est montré avec une tête humaine, alors que les trois autres présentent des têtes d’animaux. C’est une manière de signifier, avec le nom et les attributs, la spécificité d’une « personne divine » donnée.

Ainsi, la tête animale choisie correspond à une « personnalité divine », et à une forme de ce dieu en fonction des attributions mises en relief lors d’un moment précis dans une perspective politique, historique, théologique ou encore magique. Le dieu adopte alors les dispositions attendues qui se reflètent au niveau de l’apparence de son « chef » agissant selon son cœur. Pour qu’il y ait externalisation de la volonté dans l’organe correspondant, tout doit se passer en trois dimensions et en plusieurs temps. D’abord, la « fonction » diffuse au travers de sa représentation, ici la tête, donc du cerveau, vers le cœur réputé « central ». Le cerveau est alors cardialisé dans un premier temps, c’est-à-dire qu’il délègue par la force des choses sa puissance au cœur : c’est ce que j’ai appelé « le cœur cérébral » [3]. Puis dans un deuxième temps, il est associé pour ne pas perdre le message de la fonction (conservation). Il se retrouve ensuite « cardial » en lieu et place du cœur sans être nommé mais participant de l’origine même de la dynamique qui lui est demandée et il infuse enfin la réalité voulue provenant de sa propre image et qui n’a rien à voir avec un muscle cardiaque, mais ressemble plus par exemple à un animal. Ce cycle théomorphique à quatre temps répond à la précaution qu’ont exigée les successeurs du dieu mort pour assurer le nouveau règne dans la nouvelle hiérarchie divine. Les médecins ont dû composer avec la double vision d’une unité à double clinique passant par le chiasma du religieux et du médical.

 

Tableau 2 - Cycle théomorphique -  Richard-Alain JEAN

 

Nous avons vu que la compréhension des experts s’en trouva peu modifiée, même s’il faut sans doute admettre qu’elle put la freiner un peu. En revanche, des observations naturalistes pouvaient contribuer à maintenir l’ensemble des corrélations déjà admises dans les textes médicaux-chirurgicaux précurseurs du pSmith.

Les « ennemis » pouvaient être montrés décapités (A13G, A13M), atteints à la tête (A14, A14A, A14B … D69).

 

Tableau 3

 

 

Les modèles animaux pouvaient aider également à fixer des éléments, soit de sûreté comme avec des gestes magiques, soit, bien que décrits, d’autres resteront à analyser plus tardivement.

En ce qui concerne des vœux magiques, on peut penser à la mutilation de hiéroglyphes animaux dangereux visés à la tête (E74A, E133, E133A … I3B, I19A, I42, I84) ou encore au niveau du rachis (E74B, E79, E133D, E174B … I3K …).

 

Tableau 4

 

Pour d’autres faits neurophysiologiques et cliniques qui ne seront compris que bien plus tard, et c’est le cas des réflexes, on peut citer celui du relâchement des sphincters avec émission des urines et des selles sous l’action de la frayeur provoquée par l’attaque d’un fauve (Saqqara, tombe de Ptahhetep, Ve dyn.) [4]. Une étude systématique des peintures et des bas-reliefs égyptiens signalerait très probablement d’autres choses intéressantes comme des animaux terrassés mais aussi d’autres détails plus fins. Par exemple, une paralysie de l’arrière-train provoquée par une lance plantée dans le dos d’un taureau sauvage est bien montrée dans une peinture murale à la détrempe » [5] de Beni Hassan (Tombe de Chnoumhotep, XIIe dyn.) [6]. Une lionne avec une flèche reçue entre les deux omoplates est dans la même situation. Son œil rouge coule (Coffre de Toutankhamon) [7] … Voir aussi un fragment assyrien du British Museum où une lionne est représentée atteinte par une flèche de chasseur fichée dans la colonne vertébrale et lésant la moelle épinière, car elle rugit en traînant lamentablement ses deux pattes arrière [8]. Il s’agit dans les trois cas d’une paraplégie traumatique très bien représentée.

Nous voyons ici que le va-et-vient des connaissances imposé par les dominants a pu en partie s’amender grâce au sens aigu de l’observation dont étaient capables les Égyptiens dès ces époques troublées et en particulier dans le domaine clinique. Nous en sommes les héritiers.

 


[1] J.-Cl. GOYON, Le papyrus du Louvre N. 3279, BE XLII, IFAO, Le Caire, 1966, p. 39-41.

[2] En effet, si la science anatomique était très probablement bien partagée dans les milieux intellectuels et religieux, les sciences cliniques, elles, ne pouvaient être vraiment assimilées qu’en fonction d’une pratique journalière suivie – et d’autant plus riche en traumatologie et en neurologie qu’elle se déroule dans des sites dangereux comme les grands chantiers, ou à l’occasion des grandes batailles pour les chirurgiens militaires.

[3] Richard-Alain JEAN, « Le cœur cérébral en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 27 juin 2013.

[4] N. de GARIS DAVIES, The Mastaba of Ptahhetep and Akhethetep at Saqqara, I, 1900, pl. XXII.

[6] P. E. NEWBERRY, Beni Hasan, I, London, 1893, pl. XXX.

[7] N. de GARIS DAVIES, A. H. GARDINER, Tutankhamun’s Painted Box, Oxford, 1962, pl. IV.

[8] J. READ, Assyrian Sculpture, British Museum, London, 1983, fig. 78 p. 55.

 


 

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