NEUROLOGIE - IV
Plusieurs articles à suivre - 27 juin 2013 :
NEUROLOGIE - IV (conclusion 1)
Coeur en or creux - XIe dyn. - Louvre 551N
- Richard-Alain JEAN, « Le cœur cérébral en Égypte ancienne », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 27 juin 2013.
LE COEUR CÉRÉBRAL
EN ÉGYPTE ANCIENNE
Richard-Alain JEAN
« Ô mon cœur (jb) je suis ton maître ! »
(Livre Second des Respirations, XXII,1) [1]
Après avoir abordé quelques aspects médicaux du cœur [2] et du cerveau [3] en Égypte pharaonique [4], et pour conclure cette petite série d’articles, il me semblait important d’insister encore sur l’imbrication des deux notions organiques.
En effet, en dehors de toute discussion théologique, on peut se demander si les Égyptiens attribuaient bien au cerveau les données médicales exposées dans les articles précédents. Or, nous avons vu que les médecins avaient, sans aucun doute possible, constaté dans leur exercice un fait biologique que les prêtres devaient réserver au cœur, sans toutefois semble-t-il écarter les « seigneuries » comportementales, chaque organe se chargeant de « rappeler » à son possesseur sa propre existence. Cette « liberté de mouvement » doit normalement s’établir dans un périmètre limité par le schet dans l’organisme jb comme dans un filet destiné à contenir le vivant. Le concept indique que ce qui est vif est mobile mais doit respecter certaines règles pour conserver la « santé ». Les ordres sont transmis comme des « lignes de force » par les metw.
Cette physiologie des grands équilibres nécessaires à la vie se devait d’être gouvernée par quelque « seigneur de droit », « maître des lieux » et capable par son autorité d’établir une hiérarchie des besoins vitaux. Ainsi, les Égyptiens furent très probablement les premiers à inscrire – d’une façon quasi scientifique – les nécessités énumérées de respiration, de nutrition, d’hydratation, de circulation, d’élimination, de reproduction, et bien entendu, de relation. Cette dernière correspond pour nous aux fonctions centrales, locomotrices, et des sens. Nous avions vu que de l’information et de la réaction dépendait le commandement et que celui-ci était dispensé par le « chef » admis comme celui qui concentre, intègre et intellectualise les événements pour indiquer le mouvement utile. Il en sera de même pour le « cœur cérébral » en Égypte pharaonique.
Les médecins, qui pouvaient également être prêtres, ne furent aucunement gênés par cette notion physique « tripatouillarde » assumant les deux rôles tout en permettant aux spécialistes de discerner des aspects cliniques différents. Je reviendrai plus longuement ailleurs sur cette question. Cette « double ‘tripe’ fonctionnelle » dans l’esprit des anciens, pourrait peut-être bien s’accommoder de deux organes différents, l’un étant en quelque sorte susceptible d'être le double de l’autre passé sous silence dans l’anthropologie égyptienne, – c’est-à-dire, une forme particulière du ka du roi, du dieu, puis de chaque individu se reconnaissant dans cette partition de l’humain.
Ainsi, Jan Assmann a montré que la proximité du cœur et du ka était assurée dans la littérature funéraire égyptienne [5]. Façonné par Khnoum, le « ka » (k3) est habituellement considéré comme le double immatériel de la personne, et par conséquent, compris avec chacun des « doubles » des « tractus fonctionnels » assurant le bon fonctionnement et l’unité du « vivant ». Tout homme reçoit son « ka » à la naissance quand Rê le commande (MK). Grandissant avec son possesseur (avec ses « centres » jusqu’à maturité), il est capable de transformer la nourriture, dont les offrandes transmises après la mort. Il représente aussi l’énergie vitale conservatrice et créatrice de l’homme, en ce comprise la puissance sexuelle. Son rôle est donc bien « organique ». Ainsi, à l’image de celui du roi, il pourrait bien alors représenter, du vivant du sujet, son volume interne fonctionnel, « ce qui est en lui » (jb), donc normalement non visible car « doublant le corps intérieur », c’est-à-dire « l’organisme en tant que milieu interne [6] », la partie non visible des organes comme ce qui, je l’ai déjà indiqué, est « (habituellement) voilé aux regards, à l’encontre des personnes » (pEbers 811. 12c) [7]. Et ceci, même si l’homme ne rejoint normalement son « ka » qu’à sa mort. En fait, il n’en prendrait véritablement et définitivement conscience qu’à ce moment-là, tout en étant, par la grâce de la Grande en Magie, parfois capable, – par assimilation horienne [8] – dirigé par le médecin, de percevoir un instant le double du jb concerné en cas de maladie afin de lutter contre certains déséquilibres pour « rétablir le centre » (aider à guérir l’organe cible).
Il faut rappeler que le pharaon, lui, est toujours accompagné de son « ka », et consciemment, de son vivant même, probablement pour signifier « ce qui est en lui de puissance divine permanente » capable de « nourrir » et de « maintenir », volontairement, « sans cesse » le monde. Les dieux pouvaient quant à eux posséder plusieurs kas. Les hemsout en représenteront les contreparties féminines.
Le « ka » semble donc être une composante divine « concédée » à usage biologique et néobiologique post mortem, finalement proche du « jb » qui est « Seigneur » et de chaque autre jb, chacun organiquement « indépendant », « seigneur », « suzerain », en paix dans la « santé » et en « tension » dans l’adversité [9].
Il serait donc possible d’étendre les particularités organiques biologiques « créant le vivant » et indissociables de l’individu, avec le double de chaque « unité » organique, dont le « double chef d’orchestre » se trouve à la fois cardial et cérébral, chaque viscère étant bien différencié en anatomie, mais uni dans une fonction complémentaire et historique ; l’une des initiales pouvant s’abstraire de l’autre après la mort certes, mais nullement durant la vie terrestre … C’est cet embarras qui a dû créer bien des soucis aux clergés des époques fondatrices et participer à faire supporter à un seul organe la représentativité des deux. Car comme je l’ai souligné dans mes cliniques égyptiennes antérieures, les médecins avaient déjà bien compris qu’un corps humain ne pouvait se passer simultanément des deux viscères.
Il fallait donc que les deux fonctions fusionnent et que le cœur devienne cérébral.
[1] J.-Cl. GOYON, Le papyrus du Louvre N. 3279, BE XLII, IFAO, Le Caire, 1966, p. 39-41.
[2] R.-A. JEAN, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, juin 2013, p. 42-46 ; — « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 avril 2013 ; — « Notes complémentaires sur le cœur en place, embaumé ou perdu en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 19 mai 2013 ; — « La place du cœur dans les anthropologies égyptienne et comparées. Perspective médicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 3 juin 2013 ; Voir aussi bientôt, — dans Les Cahiers Intégrés de Médecine Égyptienne(CIME), Paris, 2013, sous presse.
[3] R.-A. JEAN, « Médecine et chirurgie dans l’ancienne Égypte », dans Pharaon Magazine, n° 11 - Novembre 2012, p. 46-51 ; — « Un peu de physiologie égyptienne (1) : Quelques exemples de cinétique fonctionnelle égyptienne (a), anatomie et dynamique des membres inférieurs », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 23 avril 2013 ; — « Autour du cerveau. Anatomie, physiologie », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 17 juin 2013 ; — « Autour du cerveau. Clinique médicale. Clinique chirurgicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 18 juin 2013 ; — « Autour du cerveau. Chirurgie. Pharmacologie. Théodynamie », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 19 juin 2013. Voir aussi bientôt, — dans Les Cahiers Intégrés de Médecine Égyptienne (CIME), Paris, 2013, sous presse.
[4] Les périodes suivantes seront traitées ultérieurement dans un travail collectif (CIME).
[5] J. ASSMANN, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne, Paris, 2003, p. 157-165 ;165-169 ; 181-184. Communication personnelle (Louvre, 14 mai 2009) à l’occasion des conférences « L'Égypte ancienne ; entre mémoire et science », Louvre, 4, 7, 11, 14 et 18 mai 2009.
[6] « Milieu interne » pour ne pas écrire « milieu intérieur » et ainsi faire confondre avec la locution historique de Claude Bernard (Leçons au Collège de France, du 9 et du 16 décembre 1857).
[7] R.-A. JEAN, A.-M. LOYRETTE, La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. AUFRÈRE (éd.), éd. L’Harmattan, coll. « Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne », 2010, p. 379-380 et 386-389.
[8] R.-A. JEAN, À propos des objets égyptiens conservés au musée d’Histoire de la Médecine, Paris, éd. Université René Descartes - Paris V, Paris, coll. « Musée d'Histoire de la Médecine de Paris », 1999, p. 14-15.
[9] R.-A. JEAN, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », Pharaon Magazine, n° 13 - Juin 2013, p. 42-46 ; R.-A. JEAN, « Notes complémentaires sur le cœur en Egypte », Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 06 mai 2013 / publication électronique / http://medecineegypte.canalblog.com .
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