Le dieu MIN
Un devoir de vacances en forme d'hypothèse
Un article complet à suivre en trois parties :
Détail de la stèle LOUVRE - C 86.
Dieux égyptiens et étrangers représentés :
l'égyptien Min, la syrienne Qadech, le cananéen Réchep.
calcaire peint H. : 31,50 cm. ; L. : 18,80 cm. ; Pr. : 6,50 cm.
Dédiée par Houy, ouvrier à Deir el-Médineh.
Département des Antiquités égyptiennes.
© R.-A. JEAN
- Richard-Alain JEAN, « Le dieu Min au panthéon des guerriers invalides. 1 - Les arguments cliniques. 2 - Les arguments thérapeutiques : 2.1. Thérapeutique chirurgicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 15 octobre 2013.
- Richard-Alain JEAN, « Le dieu Min au panthéon des guerriers invalides. 2 - Les arguments thérapeutiques : 2.2. Pharmacologie », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 16 octobre 2013.
- Richard-Alain JEAN, « Le dieu Min au panthéon des guerriers invalides. 3 - Les arguments paléographiques. 4 - Les textes médicaux et magiques », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 17 octobre 2013.
Le dieu MIN - première partie
Karnak - Chapelle blanche de Sésostris Ier
- Richard-Alain JEAN, « Le dieu Min au panthéon des guerriers invalides. 1 - Les arguments cliniques. 2 - Les arguments thérapeutiques : 2.1. Thérapeutique chirurgicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 15 octobre 2013.
LE DIEU MIN AU PANTHÉON
DES GUERRIERS INVALIDES
Richard-Alain Jean
Première partie
Permettez moi de vous livrer ici une hypothèse médicale concernant le dieu Min [1] (Mnw) [2] qui a peut-être survécu quelque temps mais très diminué à la suite d’un problème grave, si on analyse ses représentations les plus fréquentes. De plus, le nom même de cet illustre patient pourrait aussi signifier qu’il fût « souffrant » (mn) [3], mnw (pRamesseum I, A4).
Il me semble en effet que ce très ancien grand chef local, seigneur de Coptos (Ve nome) puis adoré à Akhmîm (IXe nome) en Haute Égypte, pouvait être invalide, paralytique, voire tétraplégique. Les cliniques de ces affections étaient connues en Égypte vraisemblablement depuis l’Ancien Empire, puis transcrites dans un traité chirurgical (pSmith) [4]. Ces neuropathologies pouvaient être d’origine traumatique et dues à des blessures infligées par des ennemis à l’occasion d’une bataille dont l’issue a cependant dû être victorieuse au point d’en propulser la première victime au rang des divinités.
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[1] Pour ce dieu : H. Gauthier, Les fêtes du dieu Min, IFAO, Le Caire, 1931 ; C.J. Bleeker, Die Geburt eines Gottes. Eine Studie über den ägyptischen Gott Min und sein Fest, SHR, 3, 1956 ; R. Gundlach, « Min », LÄ, IV, 1982, p. 135-139 ; M.-F. Moens, « The Procession of the God Min to the Htjw-garde », SAK 12, 1985, p. 61-73 ; J.R. Ogdon, « Some notes on the iconography of the God Min », BES, 7, 1985-1986, p. 29-41 ; R.H. Wilkinson, « Ancient Near Eastern Raised-Arm Figures and the Iconography of the Egyptian God Min », BES, 11, 1991-1992, p. 109-118 ; J. Quaegebeur, « Les quatre dieux Min », dans U. Verhoeven, E. Graefe (ed.), Religion und Philosophie im Alten Ägypten. Festgabe für Philippe Derchain zu seinem 65. Geburtstag am 24. Juli 1991, OLA 39, Leuven, 1991, p. 253-268 ; Chr. Leitz, LGG, III, « Mnw », OLA 112, 2002, p. 290. L. Baqué-Manzano, Les colosses du dieu min dans le temple de Coptos : origine conceptuelle d'une grande figure divine (iconographie, iconologie et mythologie), Thèse soutenue sous la direction de Sydney Aufrère à Montpellier 3, 1998. Publiée dans la collection Thesis Aegyptiaca II, Libreria Mizar, Barcelone, 2004. L. Baqué-Manzano, « Further arguments on the Coptos colossi », dans BIFAO, 102, 2002, p. 17-61.Voir aussi pour les déifications en général : D. Wildung, Egyptian Saints : Deification in Pharaonic Egypt, New York Univ Press, 1977.
[2] Wb II, 72, 11 ; Hannig-Wb I, 43657 « Min ».
[3] Wb II, 66, 18 - 67, 3 ; Alex. 77.1702, 78.1709 « être malade, souffrant », 79.1198 (mn h.’w, « la douleur physique » cf. P. Vernus, Orientalia 48, 1979, p. 180) ; Hannig-Wb I, « leiden, krank sein » (subir, être malade) & II,1 - 12847 « leiden, krank sein » ; Takács, III, « krank sein, leiden », p. 223.
[4] R.-A. Jean, « Autour du cerveau. Clinique médicale. Clinique chirurgicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 18 juin 2013, 2.1.2 à 2.2 : http://medecineegypte.canalblog.com/pages/neurologie---ii/27452823.html.
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1. Les arguments cliniques
1.1. Le traumatisme
Dans un premier temps, le héros guerrier a pu être atteint d’un traumatisme médullaire [5] ayant entraîné une lésion du système sympathique caractérisé par un priapisme [6] dit à bas débit ou ischémique, pouvant avoir, parmi d’autres étiologies, des causes comme un traumatisme crânien ou un traumatisme rachidien avec atteinte de la moelle. L’aspect non fonctionnel des membres peut corroborer cette impression. En effet, un des deux membres supérieurs est toujours représenté comme non préhensible (flagellum flottant) alors que l’autre, quand il existe, est toujours montré collé au corps sous un tissu semblant réaliser une contention maintenue par deux bandes en bretelles. Dans ce cas, la main concernée enserre la base du phallus, plus probablement afin « d’espérer » [7] en tester la réaction et chercher à percevoir une détumescence venant contrarier une érection bien involontaire, que voulant l’entretenir puisque le poignet fixé est rendu inopérant.
L’habillage toujours montré montant jusqu’au cou peut aussi être destiné à lutter contre des classiques troubles de l’homéothermie provoqués par cette affection.
1.2. Les complications
Dans un deuxième temps, celui des autres complications [8], comme celles du décubitus et des ischémies diverses de compressions, l’auguste blessé a dû subir une désarticulation de l’épaule avec ablation totale du membre supérieur atteint, ce qui est tout à fait possible.
Le changement de teinte des téguments, rougis, puis peut-être plus ou moins cyanosés en raison de problèmes classiquement rencontrés dans cette pathologie, est représenté par du lapis-lazuli (sa couleur la plus ancienne ?), ou le plus souvent remplacé sur les figurations par un noir qualifié de « couleur de fécondité », ce qui complète le tableau clinique. Notons également que le lactucarium est d’autant plus brun que sa dessiccation est menée lentement à l’ombre. Le rouge, le bleu et le noir resteront par la suite des couleurs théologales.
Nous connaissons la vigueur passée de ce chef victorieux des époques archaïques, car il était réputé sans cesse « à la recherche des femmes » (CT VI, 272a) [9] et également appelé « le taureau qui couvre les femelles », tout au moins quand il était en bonne santé. Le défunt lui-même souhaite être assimilé à Min : « Mon phallus est (celui de) Min en ce jour de … » (CT VII, 182m) [10]. Mais c’est donc peut-être dans cette situation figée, dite ithyphallique, que le chef guerrier divinisé s’est éteint – et que le souvenir en a été gardé et magnifié en terme de fertilité (« sa perfection ») – apportée à son peuple venu du désert oriental qu’il a su nourrir (fertilité agraire) [11] grâce à sa bravoure et à la conquête d’un nouveau territoire cultivable près du Nil, et aussi où le bétail peut se reproduire plus facilement et avec moins de pertes.
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[5] M. Tadié, N. Aghakhani, B. Vigué, « Traumatismes de la moelle épinière », EMC, Neurologie, Paris 1999, [17-685-A-10] ; M.E. Petitjean, K. Senamaud, M. Thicoïpé, P. Lassié, P. Dabadie, « Les traumatismes graves du rachis », Conférences d'actualisation, Elsevier, Paris, 2002, p. 501-518 ; F. de Peretti, M. Challali, « Traumatismes récents du rachis cervical inférieur chez l'adulte », EMC, Appareil locomoteur, Paris, 2012, [15-826-A-10] - Doi : 10.1016/S0246-0521(12)57492-9.
[6] J.M. Rigot, « Le priapisme », dans Conférences Médecins, SFMU, Paris, 2003, p. 15-19.
[7] En raison de l’atteinte des voix sensitives. Ou bien la lésion est partielle car la mise en évidence d'un niveau sensitif franc constitue un argument majeur pour le diagnostic de lésion médullaire. En effet, dans les tétraplégies consécutives à l'atteinte complète de la moelle cervicale, le tableau initial est stéréotypé et on retrouve : une abolition du tonus musculaire, une atonie du sphincter anal, une abolition de tous les modes de sensibilité, une abolition de tous les réflexes ostéotendineux, une rétention urinaire, l'existence d'un priapisme et l'abolition du réflexe bulbo-caverneux. De plus, si l'atteinte est supérieure à C4 ou de niveau C4, la paralysie diaphragmatique entraîne une insuffisance respiratoire, des troubles neurovégétatifs graves et les patients sont en arrêt cardiorespiratoire sur les lieux mêmes de l'accident. L’atteinte du dieu Min ne pourrait donc correspondre qu’à un niveau inférieur à C4.
[8] C. Fattal, H. Rouays-Mabit, C. Verollet, P. Benoit, P. Lavier, C. Dumont, A. Gelis, « Rééducation des lésions médullaires acquises de l'adulte : tétraplégies ASIA A », EMC, Paris 2010, [26-460-A-60] - Doi : 10.1016/S1283-0887(10)55151-X.
[9] de Buck 1935-1961, VI,272 - Sp. 649 (G1T), 272 a. Faulkner 1973, II, p. 224. Barguet 1986, p. 589. Carrier 2004, II, p. 1482-1483.
[10] de Buck 1935-1961, VII,182 - Sp. 967, 182 m (pGardiner III). Faulkner 1973, II, p. 92. Barguet 1986, p. 562. Carrier 2004, III, p. 2074-2075.
[11] En fait, la plus importante des fêtes de Min était une fête agraire, marquant en été (le premier mois de la saison Chemou), le début des moissons. On y célébrait en même temps la royauté comme pour indiquer que la fertilité en était le don primordial. Il faut aussi rappeler que le dieu était porté sur des brancards élevés dans la procession pour être visible de tous, une habitude très rare à ces époques en Égypte (Deuxième cour du Ramesseum ; Temple de Ramsès III à Médinèt Habou). Cette « exposition » datait probablement des périodes archaïques où le « héros » devait être montré afin de recevoir l’hommage du peuple, puis à sa mort, son image.
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2. Les arguments thérapeutiques
2.1. Thérapeutique chirurgicale
2.1.1 Une mise en traction ?
En plus de la contention organisée autour de son corps pour maintenir ses membres, la tête de la divinité est montrée dans ses formes les plus anciennes coiffée de deux hautes plumes maintenues par un bandeau et en dessous duquel dépassent, sur la peau, et très visiblement, les deux pointes (calamus) aux niveaux temporo-pariétaux au détriment de l’esthétique qui aurait sans doute consisté à les cacher sous l’épaisseur du tissu – mais pour quelle raison ? Si l’on examine les vieilles figurations on peut remarquer que ce diadème est en fait constitué d’une sorte de ruban prenant le crâne d’avant en arrière comme un lasso qui maintient latéralement les deux rémiges ne pouvant de ce fait que littéralement s’imprimer dans l’épaisseur des téguments. Ce long lacs se prolonge dans le dos jusqu’au sol. Comme l’on n’aperçoit pas le nœud arrière, il est possible que deux pans soient confondus. Ceci fait penser à l’installation d’un étrier crânien du type Gardner-Wells, aidant de nos jours, par la traction cervicale, au recalibrage du canal rachidien, à la décompression du névraxe et à la stabilisation osseuse. On peut de toute façon penser a minima à la mise en place d’un matériel de montage en suspensionthérapie et en pouliethérapie. La fixation distale peut être alors assurée par le grand mât central de la hutte initiale de repos – devenue « sanctuaire primitif » (sḥn.t) – avec (supposé à partir de la XVIIIe dyn.) le relais réglable d’un poteau surmonté d’une potence en cornes de bovidés (utilisation de son enseigne portant bucrane avec le signe O 44 ajouté devant la hutte) [12], la fixation proximale étant garantie par l’appareillage cirum-crânien décrit plus haut, mais pas nécessairement implanté [13]. Ainsi, les deux pans libres pourraient être dissociés au moment de l’opération pour venir s’articuler latéralement aux niveaux des pointes (fig. 2). La suspension est garantie par la corde (mnw) [14] partant de la hutte vers le relais pour être rattachée à la suite du lasso simple ou du double pan parfois appelé « prise de terre » en raison de la longueur de celui-ci touchant le sol et réalisant ainsi une diacritique. Une manœuvre plus simple peut consister à se servir d’une mentonnière et d’un appui occipital pour traction vertébrale [15]. La traction peut alors être réalisée par le système coulissant intermédiaire ou direct à réglage manuel sans poids qui sera fixé par un enroulement et un nœud (fig. 27 et 28). L’appui-pied du lit égyptien et le tissu de contention évitent au patient de glisser et d’augmenter accidentellement la charge. Cependant, le dieu, pour sa gloire, est toujours représenté debout, mais le lacs toujours prêt à être relié par ce dispositif en arrière. Notons qu’une corde est tirée en arrière avec un angle de 60° pendant le troisième épisode de la procession (Médinet Habou) [16], ce qui pourrait représenter la « mémoire » d’une traction bilatérale (fig. 5). Durant les cérémonies, un appareil en bois appelé du même nom que la hutte de repos (sḥn.t), et donc s’y rattachant initialement, est exhibé et manipulé à la mémoire de Min pour « être dressé et rendre saine (sb3q) [17] sa forme » (Dendara) [18]. Les hommes qui en sont chargés sont des Nubiens. Ils rappellent ainsi l’origine de cet acte. Les laitues, auxquelles s’adjoint le lotus ne sont jamais très loin. Nous aurions alors le plus ancien témoignage d’une technique de traction chirurgicale externe. Il est à noter que l’un des effets secondaires d’un semblable traitement d’élongations peut se manifester par un œdème aigu du poumon (OAP) faisant fuir la position allongée (souvent le patient valide tente de se lever bien que retenu par le filin et son étrier). Enfin, il peut encore apparaître dans le cas des traitements héroïques de cette nature et surtout s’ils sont menés de façon empirique, un priapisme de très mauvais pronostic ...
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[12] Ce détail est intéressant. Il pourrait indiquer que cette procédure de thérapeutique chirurgicale était encore pratiquée à la XVIIIe dyn. à partir de cette « potence » judicieusement ajoutée car l’architecture avait changé depuis le protodynastique (les maisons ne possédaient plus de poteau central en Égypte). L’ordonnance pouvait entre-temps comporter du lotus prélevé sur le Nil ; ce qui n’était peut-être pas le cas à l’endroit où cette thérapeutique a été inventée (Pount ?). L’éventail et le parasol ont contribué de tous temps à rafraîchir les malades, de même que les paravents en natte ou en étoffe pouvaient les protéger des vents de sable.
[13] Ainsi les points de compressions pouvaient être changés périodiquement pour éviter des nécroses.
[14] Notons encore ici le mot mnw « fil », pour un « filin », un « câble » : Wb II, 72, 8 ; FC, p. 108, « thread » (fil) ; Hannig-Wb II,1 « Faden » (fil).
[15] On pourrait peut-être aussi se demander si, à l’origine, la « fausse barbe » et son appareillage de maintien para-maxillaire et temporal, puis le « mortier » en appuis occipital et frontal ne constituaient pas plutôt un système de traction thérapeutique. Le souvenir perdu de ce dispositif imposé suite à une victoire coûteuse pour le conquérant aurait alors été modifié pour les rois sains.
[16] Gautier, op. cit. 1931, pl. IV.
[17] Gautier, op. cit. 1931, p. 149 : « pour rendre ‘auguste’ sa forme ». Mais avec les progrès de la lexicographie le mot peut maintenant être traduit par « rendre sain », « soigner », au moins en mémoire : Wb IV, 86,16 - 87,5 ; Alex. 77.3495 « être clair, éclaircir », 78.3431 « purifier, nettoyer », « faire revivre » ; Hannig-Wb I & II,2 - 27124 « hell machen , funkeln lassen, reinigen » (mais le Hannig-Wb III n’est pas encore publié) ; PtoLex. p. 816-817 ; S. Cauville, Les Mystères d’Osiris à Dendera – interprétation des chapelles osiriennes, BSFE 112, IFAO, Le Caire, 1988, p. 14 « rendre sain ».
[18] Mariette, Dandérah, I, pl. 23 ; Gautier, op. cit. 1931, p. 149.
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2.1.2. Les autres soins
Ainsi, la mobilité quasi inexistante du malade l’obligeait à communiquer son inconfort à l’aide d’une « sonnette » dans les moments où il en avait le plus besoin et que son souffle se faisait de plus en plus court. Un point d’appui organisé entre sa tête et la paume de sa main ouverte sur la partie sonore d’un flagellum articulé pouvait alerter l’entourage au moindre de ses frémissements maxillaires. Un signal visuel pouvait également être transmis par un très léger mouvement amplifié par de très hautes plumes dépassant dans le vide en dehors de la couche. Le tout, pour par exemple changer la position du malade, pour lui administrer une potion calmante, pour soulager un encombrement et alerter en cas de surcharge cardio-pulmonaire.
Le patient devait également être rafraichi à l’aide d’un éventail qui pouvait parfois être montré entre deux laitues (Fig. 14 a et b). Des paravents flottants et des ombrelles pouvaient être installés afin de le protéger du sable et du soleil.
Le dieu MIN - deuxième partie
Abydos, Tombe de Sethi 1er, chapelle d’Amon-Rê
(Pour cette photo et pour un excellente présentation de ce temple, et d’autres encore, voir http://www.lesphotosderobert.com/egypte.html)
- Richard-Alain JEAN, « Le dieu Min au panthéon des guerriers invalides. 2 - Les arguments thérapeutiques : 2.2. Pharmacologie », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 16 octobre 2013.
LE DIEU MIN AU PANTHÉON
DES GUERRIERS INVALIDES
Richard-Alain Jean
Deuxième partie
2 - Les arguments thérapeutiques
2.2. Pharmacologie
Deux sortes de plantes sont très souvent figurées avec ce dieu :
2.2.1. Dès l’Ancien Empire
Les laitues de Min
Les laitues. — Les « laitues de Min » sont bien connues et souvent représentées [19]. Elles sont appelées ‘3bw / ‘bw [20], pour très probablement Lactuca sativa L. var. longifolia Lam. (dénomination la plus ancienne : Pyr. 699a [21]), et ‘ft, ‘f3j/w [22] pour Lactuca virosa L. Je renvoie ici aux travaux de Sydney Aufrère : « Études de lexicologie VIII-XVII », BIFAO 86, Le Caire, 1986, p. 2-6. Textes auxquels il faut maintenant ajouter le pBerlin 3027 Sp. C II 4 [23] et les paragraphes 47d, 90a et 93b du pBrooklyn (47.218.48 et 85) [24] traitant d’ophiologie.
Bien entendu, les laitues sont attestées en Égypte ancienne [25].
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[19] S. H. Aufrère (avec la coll. de Chr. Vartavan et de V. Asensí Amóros), Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal, IV, Montpellier, 2005, p. 31, 55, 86 ; signification de la laitue comme plante de Min, p. 38, 52, 116 ; comme aphrodisiaque, p. 37 ; comme nourriture en Égypte, p. 77 ; plante de Min et de Nagada, p. 45 ; avec roseau, p. 99 ; vireuse, p. 6 ; laitue et sexe, p. 62. R. Germer, Handbuch der altägyptischen Heilpflanzen, Harrassowitz Verlag, Wiesbaden, 2008, p. 278-280.
[20] Wb I, 176, 10-14 et 167,6 ; Alex. ‘3bw : 77.0576, 78.0635, 79.0425 « laitue » - ‘bw : 77.0608, « laitue » ; Hannig 1995, p. 136, « Lattich » ; PtoLex. p. 147 « Lettuce » ; KoptHWb, p. 297 ; Vycichl 1983, p. 251, ⲱϥ (SB), ⲱⲃ (S), ⲟⲩϥ (S°) « laitue ». Germer 1979, p. 371. LÄ II, col. 521. Charpentier 1981, n° 237 p. 148-151. Maniche 1989, p. 112-113.
[21] Pierre-Croisiau, 2001, Pépy Ier, pl. XXV (P/D post/E col. 20). Sethe 1908-1922, I, Sp. 403 § 699a, p. 380. Faulkner, 1969, p. 131. Carrier, 2009, I, Téti, p. 348-349 ; II, Pépy Ier, p. 1122-1123 ; IV, Mérenrê, p. 1920-1921 ; III, Pépy II, p. 1374-1375 ; (voir aussi : IV, Aba, p. 2244-2245). Extrait : « Ô toi dont la laitue (‘3b) verdit, qui est sur son champ » (Pyr. 699) : N. Baum, Arbres et arbustes (OLA 31), Peeters, Leuven, 1988, p. 287-288 et note 329. Traduction acceptée par Pierre Koemoth : P. Koemoth, Osiris et les arbres, Contribution à l’étude des arbres sacrés de l’Égypte ancienne (Aegyptiaca Leodiensia 3), Liège, 1994, p. 40 et note 189.
[22] Wb I, 182, 7-8 ; DrogWb, 87 ; Alex. ‘f3 : 77.0629 « une plante, probablement le méliot (Meliotus officinalis) » - ‘f3j : 79.0462 « une plante » ; Hannig-Wb I & II, ‘f3 (‘f3j :) : 5121, « Pflanze (Méliot , Meliotus officinalis) » ; PtoLex. ‘f, ‘f3y, ‘f.t : p. 151 « Meliotus officinalis ? » ; Erichsen 1954, I, p. 59, ‘f, dém. ḥmt-‘f, « Pflanzenname » ; Darby, Ghalioungui, Grivetti, Food II, p. 675 « laitue » ; Charpentier 1981, ‘f : n° 239 p. 152 « sorte de mauvaise herbe » - ‘f3y/‘ft : n° 240, p. 152 « Meliotus officinalis ». Germer 2008, p. 40-41. Pour la traduction de ces mots par « laitue », je renvoie ici aux travaux de Sydney Aufrère : « Études de lexicologie VIII-XVII », BIFAO 86, Le Caire, 1986, p. 2-6. Textes auxquels il faut maintenant ajouter le pBerlin 3027 Sp. C II 4 [4] et les paragraphes 47d, 90a, 93b du pBrooklyn (47.218.48 et 85) [4] traitant d’ophiologie. C’est également l’avis de Pierre Koemoth : Osiris et les arbres, Liège, 1994, p. 47 « Lactuca virosa L ».
[23] N. Yamazaki, Zaubersprüche für Mutter und Kind, Papyrus Berlin 3027 (Achet-Verlag, Schriften zur Ägyptologie 2), Berlin, 2003, p. 14.
[24] S. Sauneron, Un traité Égyptien d’Ophiologie, Le Caire, 1989, p. 73, 120 et 126.
[25] Chr. de Vartavan, V. Asensi Amorós, Codex des restes végétaux de l’Égypte ancienne, Londres, 1997, p. 146-147.
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Pharmacodynamie
Le latex des laitues, en particulier celui de la laitue vireuse (Lactuca virosa L.) [26] contient de l’hyoscyamine [27] et du lactucarium dont des lactones sesquiterpéniques du groupe des guaïanolides lui donnant son amertume [28]. Ses propriétés narcotiques, comparables à celles de la jusquiame et d’autres solanées lui ont valu le nom de laitue papavéracée. Elle est analgésique [29], sédative et légèrement hypnotique [30].
En culture, sa taille peut atteindre plus de deux mètres de hauteur pour un peu plus de quatre centimètres de diamètre. Les représentations pharaoniques sont donc correctes [31]. Il faut aussi noter que le lactucarium extrait subit des modifications chimiques et diastasiques au cours de sa dessiccation. Son aspect brunâtre l’a fait alors désigner « d’opium de la laitue » (Cox, 1799) [32]. En effet, le lactucarium se présente en morceaux anguleux. Il est d’un brun rougeâtre foncé en dehors, opaque et cireux en dedans et d’un blanc crémeux lorsqu’il est récent. À l’air, ce blanc devient d’abord jaune, puis brun à brun foncé. Son odeur est forte, désagréable, et rappelle celle de l’opium. Son goût est très amer [33].
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[26] F. Gonzalez, A. Valendon, Int J crude Drug Res, 1986, 24, p. 154-166.
[27] Cette molécule est encore utilisée au États-Unis (J. Bruneton, Pharmacognosie, Paris, 1999, p. 822).
[28] Voir aussi par exemple : M.E. Mullins, B.Z. Horowitz, « The Case of the Salad Shooters : intravenous Injection of Wild Lettuce Extract », Vet Hum Toxicol, 1998, 40, p. 290-291.
[29] A. Wesołowska, A. Nikiforuk, K. Michalska, W. Kisiel, E. Chojnacka-Wójcik, « Analgesic and sedative activities of lactucin and some lactucin-like guaianolides in mice », Journal of Ethnopharmacology, 107, (2), 19 September 2006, p. 254–258. « One of the active compounds, lactucin, is an adenosine receptor agonist, while another, lactucopicrin, has been shown to act as an acetylcholinesterase inhibitor » : J. M. Rollinger, P. Mocka, C. Zidorn,E. P. Ellmerer, T. Langer, H. Stuppner, (2005). « Application of the in combo screening approach for the discovery of non-alkaloid acetylcholinesterase inhibitors from Cichorium intybus », Current drug discovery technologies, 2, (3), September 2006, p. 185-93.
[30] Dorvault, L’Officine, Vigot, Paris,1987, p. 920 et « Lactucarium » p. 898-899.
[31] Voir par exemple : Offrandes de la tombe de Meir, Chapelle B (Blackman, The Rock Tombs of Meir, Part II, Kegan Paul, Trench, Triibner, London, 1915, 2, pl. X). Plantation de laitues à Coptos (L. Keimer, « Die Pflanze des Gottes Min », ZÄS, 59, Berlin, 1924, p. 142). Jardin irrigué de laitues dans la tombe 3 de Beni Hasan (Newberry, Beni Hasan, Part I, Kegan Paul, Trench, Triibner, London 1893, pl. 29). Procession de la Fête de Min à Médinèt Habou (University of Chicago, Medinet Habu, IV, Chicago Press, Chicago, 1940, pl. 201).
[32] J. R. Cox, « An enquiry into the comparative effects of Opium offici narum extracted from the Papaver somniferum or White Poppy of Linnseas, — and ot that procured from the Lactua sativa or common Lectuce », dans Trans of the American Philosophical Society, Philadelphie, 1799, IV, p. 387.
[33] F.-A. Flückiger, D. Hanbury, Histoire des drogues d’origine végétale, Doin, Paris, 1878, p. 30.
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Indications historiques
Les laitues romaines ‘3bw / ‘bw si souvent représentées sur les monuments religieux ne figurent que deux fois sous cette dénomination dans les textes médicaux qui nous sont parvenus jusqu’à ce jour (pRamesseum IV. D V 2 [34]; pBerlin 3027 Sp. B I 5 [35]). En effet, ce sont les laitues vireuses ‘ft, ‘f3j/w qui y sont nommées dans les formulations thérapeutiques avec les bonnes indications analgésiques et calmantes. Une « huile de laitue » (un extrait ?) semble avoir été accessible dans les marchés [36]. Cette très probable « graisse de laitue (ḏd3 n jbw) » [37] est indiquée localement contre les céphalées dans le pEbers (253. 48, 5-7).
Les médecins associaient et remplaçaient peut-être aussi cette plante par du pavot, dans la mesure où l’effet recherché était probablement plus orienté sur la sédation que sur une hypothétique vertu historique aphrodisiaque dont seuls des dosages extrêmement minutieux en permettraient éventuellement l’approche [38]. Dans le pBerlin 3027, la plante est bien substituée au pavot (špn) dans une prescription destinée aux bébés, comme elle le sera de la même façon pour les enfants aux époques modernes (cf. infra).
Les textes classiques nous apprennent que la plante (θρῖδαξ) était considérée par les Pythagoriciens comme « la plante des eunuques ». Pour Celse, « Les aliments qui portent au sommeil sont : le pavot, la laitue … » (2,32) [39]. Pline l’Ancien nous indique que l’une « est nommée méconis (μηκωνίς [40], meconis) pour l’abondance de son lait soporifique » (HN XIX, XXXVIII, § 126) [41] et que « toutes ont un suc blanc dont les propriétés sont aussi semblables à celles du pavot » (HN XX, XXVI, § 61) [42]. Columelle l’annonçait soporifique et la préconisait pour faire dormir les convalescents [43]. Galien la disait « plante des philosophes » et il la pensait comme antispasmodique, sédative et hypnotique (Crase et Pouvoir, 6, 8, n° 6) [44]. Dioscoride nous apprend qu’en ce qui concerne la laitue sauvage (θρίδαξ ἀγρία) « Ses effets ressemblent à ceux du pavot (μήκων) ; aussi certains mêlent-ils le suc de la laitue à l’opium (μηκώνιον) » (II. 136,2) [45]. Pour lui la plante est également antalgique ; de plus, elle « fait perdre les songes et imaginations d’amour et ôte l’appétit de luxure ».
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[34] J.W.B. Barns, Five Ramesseum papyri, The Griffith Institute of the University Press, Oxford, 1956, pl. 20 et p. 28.
[35] N. Yamazaki, op.cit. 2003, p. 12.
[36] L. Keimer, Gartenpflazen, p. 1-6 ; A. Lucas, Ancient Egyptian Materials and Industries, 1989, p. 332-333 ; P. T. Nicholson, I. Shaw, Ancient Egyptian Materials and Technology, Cambridge, 2000, p. 390, 403-404, 631-632.
[37] Westendorf 1999, p. 517 et 834, jbw « Pflanze ». Différent de jbw « Alun » (Wb I, 182, 7-8), jbnw : DrogWb, p. 22, Westendorf 1999, p. 666 / 179 « Alaun ».
[38] J’ai souvent indiqué que dans le domaine de la pharmacognosie, tout était une question de dosage – or, ceux-ci n’étaient pas toujours faciles à réaliser à ces époques lointaines. En ce qui concerne l’action du suc de Lactuca serriola, pour l’ethnobotaniste italien Giorgio Samorini, éditeur du journal Eleusis du Civic Museo Civico de Rovereto, ce latex contient des alcaloïdes qui auraient un effet calmant modéré à faible dose et stimulant à forte dose, et propose de voir là les raisons de cette association : « Tests showed that 1 gram of lactucarius induces calming and pain killing effects because of the presence of lactucin and lactucopicrin. At the highest doses [2 to 3 grams], the stimulating effects of tropane alkaloids prevail » (Fr. Festi, G. Samorini, Eleusis. Piante e composti psicoattivi - Journal of Psychoactive Plants & Compounds, - nuova serie - 8, 2004, p. 85 ; R. Lorenzi, Egyptians ate lettuce to boost sex drive, News in Science, 29 june 2005 / www.abc.net.au/science/news/stories/s1403295.htm ; Th. Benderitter, News juillet 2005 / http://www.osirisnet.net/news/n_07_05.htm). Les Coptes d’aujourd’hui considèrent encore la laitue des jardins comme aphrodisiaque pour les deux sexes : C. Wissa Wassef, Pratiques rituelles et alimentaires des Coptes, Le Caire, 1971, p. 362.
[39] Aurelius Cornelius CELSUS, Traité de Médecine, éd. Védrènes, Masson, Paris, 1876, p. 433.
[40] Épicharme ap. Athén., 70 f.
[41] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Livre XIX, éd. J. André, Les Belles Lettres, Paris, 2003, p. 71-72.
[42] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Livre XX, éd. J. André, Les Belles Lettres, Paris, 1965, p. 46.
[43] M. Geoffroy, Traité de la matière médicale ou Histoire des vertus, du choix et de l'usage des remèdes simples, chez Desaint & Saillant, Paris, 1757, Vol. 7, p. 153.
[44] C. G Kühn, Claudii Galeni opera omnia, vol. 11, De simplicium medicamentorum temperamentis et facultatibus, (Leizig, 1821-1833), reprint Hildesheim, 1965, p. 887.
[45] Dioscoride d’Anazarbe, texte grec : Pedanii Dioscoridis Anazarbei, De materia medica, Greek, éd. Max Wellman, Weidman Verlag, Berlin, vol. I, 1907, p. 208 ; traduction : Dioscoride d’Anazarbe, De la matière médicinale, éd. Pierre André Mathiole, trad. Antoine du Pinet, Chez Jean-Baptiste de Ville à Lyon, 1680, p. 221-222.
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Les Coptes en utilisaient le lait de « laitue amère » (ⲱⲃ ⲛⲥⲓϣⲉ) avec de l’opium (ⲟⲡⲓⲟⲙ) en ophtalmologie (VIII, l. 19) [46], et ses graines pour faire « vomir les vers » (CXI, l. 239) [47]. Prosper Alpin donne pavot et laitue contre l’insomnie (Med. 316) [48]. André Matthiole ajoute dans son commentaire de Dioscoride que « mise sur les testicules, elle empêche les fluxions de semence » (1680, p. 222). Pouchet l’a préconisée dans le priapisme de la blennorragie. La plante a obtenu un certain succès dans le traitement des spermatorrhées dues aux paralysies [49]. Guibourt dit que le suc de ces laitues passe pour sédatif et narcotique [50]. Flückiger et Hanbury en rapportent les usages narcotique et diurétique de l’époque [51]. Ce produit tombera en désuétude.
Cependant à nouveau, Lactuca virosa L. est utilisée de nos jours en Europe, en Afrique du Nord dont l’Égypte et au Moyen-Orient, principalement comme calmante, hypnotique, diurétique, laxative [52] et antitussive [53]. La plante est parfois considérée comme un succédané faible de l'opium, employé dans le cas où celui-ci est contre-indiqué, en particulier chez l’enfant.
Pour des spécialités en France jusqu’en 1990 : Assagix (Lab. Fabre) [54] ; Médiflor 14 (Lab. Monot) [55]. Les compositions suivantes étaient aussi prescrites contre la toux : Bromoseptal (Lab. Centrapharm) ; Terpine des Monts Dore (Lab. Centrapharm).
Lactuca virosa L. est réinscrite à la Pharmacopée Française en 1975 (Lactucarium). Lactuca virosa L. est encore inscrite à la Pharmacopée Française, Xe édition [56].
Théodynamie
Le suc laiteux du végétal pouvait rappeler le sperme divin, et ce dernier en changeant de couleur au moment de sa maturation (cf. supra), rappeler le limon fertile noirâtre lui aussi [57]. Ainsi l’on peut émettre l'hypothèse d'un glissement-assimilation de la « puissance phallique » supposée du chef divinisé à la « puissance fertile agraire » bien observée le long du Nil par ses nouveaux occupants. Un certain nombre de ces derniers étant probablement issus de sa propre laitance du temps où il pouvait encore, à juste titre, être considéré comme « le Maître de la procréation » en contribuant largement, à son heure, à assurer une bonne démographie à son peuple, puis, en l’installant durablement dans une contrée plus féconde. Une relation a pu également être faite entre ce que produit la nouvelle terre, – qui calme la faim du peuple, – et les laitues, – qui calment les souffrances du conquérant martyr. Son sacrifice lui vaudra d’être divinisé. Il sera par la suite « fêté » en mémoire des fertilités confondues [58].
Ce sont les laitues ‘3b / ‘bw qui sont montrées réaliser une offrande de « valeur exclusive » au dieu récipiendaire, même si ces dernières ont pu être un temps dépréciées à une époque très ancienne où les jeux politiques devaient imposer à cette divinité un rôle très secondaire, par exemple par rapport au Faucon d’Osiris (Horus l’Ancien), et à sa descendance royale assurée finalement par semence assimilée à la laitance du légume bien nommé mnḥp de Mendès [59].
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[46] É. Chassinat, Un papyrus médical copte (MIFAO 32), Le Caire, 1921, p. 70-71.
[47] É. Chassinat, op.cit. 1921, p. 235.
[48] Prosper Alpin, La Médecine des Égyptiens, 1581-1584, éd. R. de Fenoyl et M. Desdames (Coll. des Voyageurs de l’Ifao21), Le Caire, 1980, p. 426.
[49] H. Kaula, De la spermatorrhée, Labé - Librairie de la Faculté de Médecine, Paris, 1846, p. 207- 208 et 216.
[50] N.-J.-B.-G. Guibourt, Histoire abrégée des drogues simples, Paris, 1836, II, p. 174-175.
[51] F.-A. Flückiger, D. Hanbury, op. cit.1878, p. 27. Ces auteurs minimisent cet aspect tout en reconnaissant une propriété sédative (qui pouvait être utile à des périodes très anciennes).
[52] L. Boulos, Medicinal Plants of North Africa, Algonac, 1983, p. 67.
[53] L. Bézanger-Beauquesne, M. Pinkas, M. Torck, Les plantes dans la thérapeutique moderne, Maloine, Paris, 1986, p. 266.
[54] Dic. Vidal 1995, p. 125 (troubles du sommeil de l’enfant).
[55] Dic. Vidal 1995, p. 900 (calmant ; troubles du sommeil).
[56] Pharmacopée Française, Xe édition, « feuille, suc épaissi dit ‘lactucarium’ », Paris, 2005, p. 24.
[57] Pour la couleur réelle du limon du Nil, voir par exemple une petite table de jeu conservée au Musée du Cinquantenaire à Bruxelles (-4000 / -3000, inv. E.02957).
[58] Pour les fêtes de Min, on se reportera principalement à : H. Gauthier, op.cit, 1931.
[59] Ici les mots mnḥp « phallus (d’Osiris) » et son homonyme « laitue (sacrée du lieu) » proviennent de nḥp « jaillir, saillir, féconder ». P. Koemoth, op.cit. 1994, p. 39-42.
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Les laitues appelées ‘ft, ‘f3j/w accorderont pourtant à l’illustre végétal la grande taille qui sied à une offrande si prestigieuse. En effet, les « romaines de forme » seront bien représentées comme « vireuses de taille » [60].
Pour une des étiologies postérieures de l’association du végétal à la fécondité, bien que celle-ci soit malencontreuse, il faut se reporter à l’épisode mythologique des aventures d’Horus et de Seth [61]. Dans les temples, le geste d’offrir le végétal au dieu victorieux se référait bien à cette péripétie. Sur un papyrus connu (pLouvre N 3129, col. C, 1.33) [62], Seth tente de dérober les laitues sacrées de Mendès pour remédier à sa stérilité et/ou pour atténuer les douleurs provoquées par son émasculation.
Dans la mythologie grecque, Héra mange de la laitue interdite aux femmes afin d’enfanter Jouvence sans l’aide de Zeus [63]. À contrario, la relecture grecque d’un autre mythe d’origine phénicienne dit aussi que Vénus, voulant oublier ses amours adultères, ensevelit Adonis sous des laitues, et garda, dès lors, grâce à cette plante, une chasteté peu compatible avec ses goûts et ses habitudes. Voir aussi le mythe de Phaon [64].
Commentaire
Il faut ici rappeler que du légume de Min s’écoule une laitance dont le dieu guerrier a davantage besoin à mon sens pour calmer ses douleurs résiduelles, – phénomène bien connu même longtemps après une désarticulation –, que visiblement dans ses représentations, de stimulants sexuels [65]. Il aura aussi besoin de trouver le sommeil. L’hypertension artérielle pourrait également bénéficier de ce traitement en provoquant une perte hydrique, et avec un bon dosage, prévenir ou aider à traiter un œdème aigu du poumon (OAP). Ainsi, la pathologie principale et ses complications pouvaient bénéficier du traitement.
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[60] Voir par exemple les descriptions contenues dans : M. Defossez, « Les laitues de Min », SAK 12, 1985, p. 1-4 ; M.-F. Moens, « The procession of the god Min to the ḫtjw-garden », SAK 12, 1985, p. 61-73.
[61] M. Broze, Les aventures d’Horus et Seth dans le Papyrus Chester Beatty I, OLA 76, Leuven, 1996, p. 93 et p. 251.
[62] Urk., VI, 23, 1. 3.
[63] M. Destienne, « Puissance du mariage », dans Y. Bonnefoy (éd), Dictionnaire des mythologies, II, Paris, 1981, p. 68-69.
[64] M. Destienne, Les jardins d’Adonis. La Mythologie des aromates en Grèce, Paris, 1972, p. 130-136 et 201-205.
[65] R.-A. Jean, « Autour du cerveau. Chirurgie. Pharmacologie. Théodynamie », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 19 juin 2013, 3. Théodynamie.
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2.2.2. À partir de la XVIIIe dynastie
Les Nymphéacées. — Avec les lotus et le nénuphar, dont je parlerai ici plus brièvement.
Pharmacodynamie
Nymphaea caerulea Sav. (bleu), et Nymphaea lotus L. sont connus depuis longtemps pour les propriétés narcotiques faibles de leurs alcaloïdes [66]. Leurs rhizomes renferment des alcaloïdes sesquiterpéniques (désoxynupharidine, nupharolidine, nuphacristine) [67]. Quant au nénuphar, Nymphaea alba L., il contient des alcaloïdes comme la nuphamine et la nymphéine.
Bien entendu, ces lotus et les nénuphars sont attestés en Égypte ancienne [68].
Indications historiques
Ils sont considérés comme sédatifs, calmants et anaphrodisiaques [69], au point d’avoir été utilisés par les ermites égyptiens et, à leur suite, les moines médiévaux. De nouvelles expériences ont confirmé certaines de ces données, avec probablement aussi la présence de molécules faiblement aphrodisiaques mais dans cette fois les pétales de lotus [70] avec une action tonique et régulatrice qui peut être efficace à long terme. Des dérivés nitrés peuvent être toxiques (esters du glucose et de l’acide 3-nitropropanoïque) [71].
La fleur de Nymphaea alba L. est encore utilisée de nos jours en Europe, en Afrique du Nord dont l’Égypte et au Moyen-Orient, principalement comme sédatif nerveux [72]. Pour des spécialités en France jusqu’en 1990 : Tisane de l’Abbé Hamon 6 (Lab. Aérocid) [73].
Nymphaea alba L. et Nuphar luteum L. Sibth et Small ont été réinscrites à la Pharmacopée Française en 1975. Nuphar luteum L. Sibth et Small reste inscrite à la Pharmacopée Française, Xe édition [74].
Même ajoutés sur les figurations à partir de la XVIIIe dynastie, le lotus, avec la laitue vireuse présente dès les origines, pouvaient sans doute être prescrits antérieurement et simultanément. Les deux plantes sont bien traditionnellement indiquées pour les pathologies qui nous intéressent ici.
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[66] W.A. Emboden, « The Sacred Narcotic Lily of the Nile : Nymphaea caerulea », Economic Botany, 32, 4 (Oct. - Dec., 1978), p. 395-407.
[67] J. Bruneton, Pharmacognosie. Phytochimie. Plantes médicinales, Paris, 1999, p. 1050.
[68] Chr. de Vartavan, V. Asensi Amorós, op.cit. 1997, p. 181-183.
[69] Dorvault, op.cit.1987, p. 1038. J. Valnet, Phytothérapie, Vigot, Paris, 2001, p. 433.
[70] Jean, Loyrette, 2010, p. 48-49 ; 72-75. Voir aussi les travaux de G.A. Gabaula et de R. David. facilement accessibles par exemple dans le film : http://www.youtube.com/watch?v=FUf6yfD2lZg&feature=youtu.be. Cependant, des études cliniques plus approfondies sont en cours. J’aurai l’occasion d’en reparler prochainement.
[71] J. Bruneton, Plantes toxiques. Végétaux dangereux pour l’homme et les animaux, Paris, 2001, p. 296-297.
[72] L. Bézanger-Beauquesne, M. Pinkas, M. Torck, op.cit. 1986, p. 299.
[73] Dic. Vidal 1995, p. 1501 (calmant ; troubles du sommeil).
[74] Pharmacopée Française, Xe édition, « rizome », Paris, 2005, p. 27.
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Théodynamie
Il suffit de parcourir les textes égyptiens et les parois des tombes pour comprendre l’importance du lotus dans l’espérance qu’avaient les Anciens de renaître à une nouvelle vie après la mort. Le lotus représente aussi une sorte d’archétype végétal de l’offrande en général, et ceci aussi bien pour les dieux que pour les hommes, et en particulier pour les couples [75]. Pour Min, on pourrait le rapprocher d’une inscription figurant sur le deuxième pylône de Karnak désignant Amon comme « le vieillard (nḫḫ) provenant du lotus », et si l’on ne peut pas écarter la possibilité que le dieu s’identifie ici au soleil du soir (Urk. VIII, 132b), il est également possible que ce cette épithète renvoie à l’apaisement de Min facilité par le lotus au soir de sa vie mouvementée et à l’aube de sa nouvelle naissance.
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[75] Je renvoie pour tout cela au travail de Marie-Louise Ryhiner, L’offrande du lotus dans les temples égyptiens de l’époque tardive, Bruxelles, 1986 ; voir aussi : Jean, Loyrette, 2010, p. 48-49 ; 72-75.
Le dieu MIN - troisième partie
Offrande de laitues et de lotus à Amon-Min
Vestige d’un portail de Ramès II
Diorite ; H. : 1,23 m. ; l. : 1,13 m. ; L. : 0,64 m.
(XIXe dyn., Louvre, B 16)
© R.-A. Jean.
- Richard-Alain JEAN, « Le dieu Min au panthéon des guerriers invalides. 3 - Les arguments paléographiques. 4 - Les textes médicaux et magiques », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 17 octobre 2013.
LE DIEU MIN AU PANTHÉON
DES GUERRIERS INVALIDES
Richard-Alain Jean
Troisième partie
3. Arguments paléographiques
Le dieu Min est le plus souvent représenté avec un lacs arrière visible touchant le sol et issu de la face postérieure de la tête (C8 ; C8A), puis parfois sans (C38B) à l’époque ptolémaïque.
On peut aussi penser que son enseigne initiale fut remplacée par son symbole (R22-23), lui-même par la suite juché sur le pavois habituel (R12), l’ensemble désignant le nom du dieu d’Akhmîm. Aussi ce signe (R22 ou R23) rappelle-t-il peut-être une ou deux flèches fichées dans son rachis cervical, voire incluses dans une vertèbre et en émergeant. Ce type de blessure vertébrale n’était pas rare et pouvait être rencontré en chirurgie de guerre dès les époques les plus anciennes. Voir par exemple une pièce anatomique datant du Nouvel Empire provenant de Dakka (98.762) [76] et conservée à l’Hunterian Museum of the Royal College of Surgeons of England (inv. RCSHM/Nubian 6).
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Remarquons aussi qu’à l’image d’autres dieux à mobilité réduite comme Ptah, le dieu est montré « érigé » sur une pierre (O39) ou sur une sorte d’estrade (Aa11, var. Aa12) servant en quelque sorte de « piédestal » à la fonction divine. Pourrait-on voir, à l’origine, un support avec montants, éventuellement réalisé en adobe [77], ou en bois (Dendara V pl. CCCCXLIV), ou composite, comportant ou non un dossier réglable ? Et ceci un peu comme un fauteuil sans pied et qui pourrait de plus être adapté au besoin sur une civière à la manière d’une chaise à porteurs [78] avec laquelle on peut se déplacer en position allongée et/ou demi-assise. Nous aurions alors un agencement proche des signes Q2, Q2A, Q2C, ou mieux, de Q2B mais sans les brancards non fixes et plus long, car cette fois organisé pour un malade allongé (et non assis). De plus, les bas-reliefs nous montrent qu’un préposé pouvait contrôler une corde tendue en oblique fixée à la couronne et exerçant une traction (geste de mémoire ?)
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[77] R.-A. Jean, La chirurgie en Égypte ancienne. À propos des instruments médico-chirurgicaux métalliques égyptiens conservés au musée du Louvre, Éditions Cybele, Paris, 2012, p. 24.
[78] Voir par exemple la chaise à porteur de la reine Hetephérès I (IVe dyn.) conservée au Musée du Caire (JE 52372) : G.A. Reisner, W.S. Smith, A History of The Giza Necropolis, II, Cambrige, 1955, p. 33-34 et pl. 27-29 ; M. Lehner, The Pyramid Tomb of Hetep-heres and the Satellite Pyramid of Khufu, Mainz, 1985.
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4. Les textes médicaux et magiques
En ce qui concerne les textes médicaux pharaoniques, nous trouvons le dieu à propos d’un « roseau (js) sorti de Min » (pBrooklyn § 99c / 6,24a) [79] dans un passage où il est question « de tout dieu qui souffre (mn) » (6,27) à propos de ce qui doit sortir, dans cette partie, c’est-à-dire le venin qui a tué Horus le rendant « (tout) desséché » (paralysie). Le texte est abîmé mais l’on peut comprendre qu’il y a bien une analogie entre ce qui doit être extrait de Min et ce qui doit sortir d’Horus. Le patient qu’il faut guérir étant comme d’habitude assimilé à Horus [80], mais aussi, c’est beaucoup plus rare, à Min. Les deux divinités ayant été « souffrantes » avant de surmonter le mal ici dans les deux cas provoqués chacun par une « blessure ».
Dans un autre papyrus ophiologique (pWilbour 47.218.138) [81], la nuque d’Horus, et donc celle du malade à sauver, est assimilée à celle de Min (§ 12 / 5b), ainsi que plus loin, encore à sa nuque (§ 21 / 18c) et aussi à son cou (§ 21 / 19b) – car en effet « il n’y a [aucun membre en] lui qui soit privé d’un dieu, tout homme dont la protection est assurée » (§ 21 / 20-21c). Il s’agit par conséquent bien dans ce contexte de la partie anatomique lésée à soigner.
L’arrière de la tête et du cou (mkḥ3) de Min est encore signalé sur le socle de Behague (Sp 8).
Le menton (‘n‘nt) de Min – par où pourrait passer une mentonnière de traction – est cité dans le pMagique du Vatican (cf. note 13).
Les autres organes déjà sous-entendus plus haut et subissant les complications de la neuropathologie traumatique, sont signalés dans d’autres documents : il s’agit du « poumon » (wf3) (pBerlin 3027, Sp. U, vso V,3c) [82], contenu dans deux côtés de la « poitrine » (pLeiden I 348 / Rt IV.10-VI.1) assimilés aux hautes plumes (Swwy/Swty) afin probablement d’espérer capter la brise quand le souffle vient à manquer.
Bien entendu le phallus (ḥnn) du dieu est souvent cité (CT 967 ; socle de Dendéra In. 6-12 …), ainsi que le phallus (mṯ3) de Min le Coptite (Mnw Gbtyw) dans le pLouvre 3129 (Urk. VI, 79 ff). Voir aussi la Stèle de Metternich (Sp. 12) pour le phallus (ḥnn) de Min-Horus. Quant à l’organe phallique (ḥnn) de Min cité dans le pGenève MAH 15274 (Rt. 2.1-6) il correspond bien aux « calamus » [83] des deux plumes figurant chacun imprimés aux niveaux temporo-pariétaux du seigneur de guerre invalide et qui a pu subir des tractions cervicales …
Il faut aussi ajouter que Min qui habite au-dessus d’eux (Stèle ptolémaïque n° 911 du British Museum), est « Celui qui ouvre les nuages (wp.t jgpy) » (Deuxième Hymne dansé à Min : Ramesseum, 10 ; Médinet Habou, 8) [84]. Cette expression ne pourrait-elle pas également indiquer que le dieu en assure d’autant mieux la maîtrise, qu’il en a lui-même triomphé après sa mort et sa résurrection (par la survie que lui assure sa déification), après avoir souffert que « son centre mental ait été ‘embrumé’ » pendant sa maladie et à divers stades de comas, si l’on met la locution (jgp) en parallèle avec celle que j’ai déjà décrite à l’occasion de l’analyse d’une pathologie avec tuphos (pBerlin 3038 / 154 - 13,4e ; pEbers 855t - 102,2) [85].
Nous voyons que s’agissant d’une très ancienne divinité, les textes sont assez rares mais cependant bien orientés selon cette problématique.
Au total, je crois que l’hypothèse valait au moins d’être proposée.
N.B : Je ne cite pas le dieu Amon dans ce papier, car comme l’a montré Sélim Hassan [11], l’assimilation entre Min et Amon à partir de la XVIIIe dyn. s’est accomplie au détriment de Min qui a presque tout donné à Amon sans rien en recevoir.
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[79] S. Sauneron, Un traité égyptien d’ophiologie. Papyrus du Brooklyn Museum Nos 47.218.48 et 85, IFAO 683, Le Caire, 1989, p. 133.
[80] R.-A. Jean, À propos des objets égyptiens conservés au musée d’Histoire de la Médecine, Paris, éd. Université René-Descartes - Paris V, Paris,coll. « Musée d'Histoire de la Médecine de Paris », 1999, p. 14 et 75-77.
[81] J.-Cl. Goyon, Le recueil de prophylaxie contre les agressions des animaux venimeux du Musée de Brooklyn. Papyrus Wilbour 47.218.138, SSR 5, Harrassowitz Verlag, Wiesbaden, 2012, p. 21-22 et 43.
[82] N. Yamazaki, op.cit. 2003, p. 48-49.
[83] « Min, Tall of two Plumes » : J. Walker, Studies in Ancient Egyptian Anatomical Terminology (The Australian Centre for Egyptology, Study 4), Aris and Phillips Ltd., Warminster, 1996, p. 325.
[84] H. Gauthier, op.cit 1931, p. 190-191, et note 5 p. 194-195.
[85] R.-A. Jean, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, mai 2013, p. 43-45 ; — Quelques éléments de la notion d'infectologie en Égypte ancienne, Paris, 2013 (sous presse).
[86] S. Hassan, Hymnes religieux du Moyen Empire, Le Caire, 1930, p. 172-174.