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INFECTIOLOGIE - V - La typhoïde (2)
Article complet - vendredi 20 juin 2014 :
L'INFECTIOLOGIE - V - La fièvre typhoïde (2)
- Richard-Alain JEAN, « Infectiologie (5). Quelques traces écrites possibles de la typhoïde en Égypte ancienne (2), observation et analyse », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 20 juin 2014.
INFECTIOLOGIE (5)
QUELQUES TRACES ÉCRITES POSSIBLES
DE LA TYPHOÏDE EN ÉGYPTE ANCIENNE (2)
OBSERVATION ET ANALYSE
Richard-Alain JEAN
1. Début de l’observation
Comme nous venons de terminer la véritable observation initiale dans la première partie de cette étude [1], pour bien comprendre ce texte, il nous faut encore, il me semble, remonter à la division supérieure. Ainsi nous comprenons que le clinicien notait des suites symptomatiques dans plusieurs descriptifs qui, regroupés, sont susceptibles de retracer une maladie. Ainsi ce « groupe de sections » est un bon exemple dans la mesure où il décrit bien ici « une invasion » pathogène.
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pBerlin 3038 - 41 / 153 (12,12 - 13,3) :
12,12 Descriptif (médical) relatif à la diffusion (a) des infectants qui pullulent (b) à l’intérieur du corps d’un sujet.
13,1b Tu devras lui préparer des traitements destinés à tuer (c) les infectants, ainsi que des traitements contre les invasions (d) des infectants qui sont à l’intérieur du corps.
Les signes cliniques ne sont pas encore abordés.
Seul suit un traitement de première intention oral fortifiant destiné à préparer la lutte contre l’infection.
(d) Ici, la « diffusion (h3wtj) » « en nombre (ʿš3) » « d’infectants (wḫdw) » dans le corps du malade correspond bien à une « dissémination (h3wtj) », en somme, à une « invasion ».
Ce que le texte du Papyrus de Berlin ne dit pas en général. – Pas d’élévation du rythme cardiaque indiquée malgré la fièvre. Pas de frissons. Pas de convulsions ni agitations intempestives. Pas d’éruptions évidentes. Il n’est pas question ici d’épreintes. Il ne s’agit pas d’une maladie immanquablement mortelle.
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2. Observation totale
Cette observation clinique débute donc en pBln. 153 (12,12 - 13,3) pour le « titre » et « la cause principale », avec une « invasion » « d’infectants », qu’il faut tuer afin de stopper leur progression interne, et donc celle de la « maladie infectante ». Le traitement est général. Il consiste à fortifier le patient à l’aide d’une tourte vitaminée riche en fibres.
Elle se continue par le « corps de l’observation principale » en pBln. 154 (13,3-8) où sont donnés les signes cliniques les plus importants ; où sont sous-entendues les gloses explicatives et épidémiologiques ; où sont délivrés le diagnostic et le pronostic ; et enfin où est ordonnée une thérapeutique curative destinée à tuer les « affectants » en les « taillant en pièces », et, à hydrater le malade.
Suivent deux autres traitements en pBln. 155 (13,8-10) et en pBln. 156 (13,10-11).
Suit en pBln. 157 (13,11 - 14,3), une sorte de traitement d’urgence destiné à une forme évolutive. Il peut s’agir à la fois d’un traitement curatif, fortifiant et réhydratant.
Suit en pBln. 158 (14, 3-4) la description d’un symptôme, le ballonnement et de son traitement symptomatique « extracteur » des morceaux d’affectants restés dans le corps du sujet et qu’il faut bien évacuer.
Un traitement complémentaire est donné en pBln. 159 (14,4-5). Il s’agit d’un clystère antiseptique, anti-inflammatoire et rafraîchissant.
Une autre médication est proposée en pBln. 160 (14,5-6). Il s’agit probablement de continuer la réhydratation et de finir de soutenir le malade.
Suivent plusieurs passages s’échelonnant de pBln. 164 à 183 et qui ont pour sujet différentes formes cliniques ou complications suivies de leurs traitements.
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Traduction suivie repérée et commentée
Une traduction suivie de l’ensemble évoqué facilitera au lecteur la compréhension générale du texte.
Il ne sera pas encore ici question des détails des traitements proposés.
Texte du pBerlin :
12,12 Descriptif (médical) relatif à la diffusion des infectants qui pullulent à l’intérieur du corps d’un sujet.
13,1b Tu devras lui préparer des traitements destinés à tuer les infectants, ainsi que des traitements contre les invasions des infectants qui sont à l’intérieur du corps.
Les signes cliniques ne sont pas encore abordés.
Seul suit un traitement de première intention oral fortifiant destiné à préparer la lutte contre l’infection.
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13,3a Autre (remède), (pour) un « marais (intérieur) » causé par un envoi d’enflammants :
13,3b Son abdomen est pesant ; la bouche de son tractus digestif est douloureuse ;
13,3c son intérieur est brûlant et piquant ;
pEbers - Glose A :
101,20 - 21a Quant à (l’expression selon laquelle) « la bouche brûle et elle est piquante », et quant à (l’expression) « l’intérieur est piquant » :
101,21b à 102,1- 2b cela signifie que c’est de la chaleur qui circule à cause de son cœur (du sujet). Cela veut dire que son intérieur-jb est brûlant sous l’effet du feu comme (chez) un sujet qui est torturé par les moustiques.
Reprise du texte du pBerlin :
13,4ab ses mises lui sont pesantes ; il ne peut supporter plusieurs linges.
13,4c Il a soif la nuit.
13,4d Il goûte son cœur.
pEbers - Glose B :
102,9-10a Quant à (l’expression selon laquelle) « son tractus est confus et goûte son cœur » :
102,10b cela signifie que son tractus se trouve resserré, obscur dans l’intérieur de son ventre,
à cause de la fureur.
102,11 Il sera fait les traitements destinés au cas où son tractus est dévoré.
Reprise du texte du pBerlin :
13,4e il se trouve embrumé comme un sujet qui a mangé des fruits (non entaillés) de sycomore ;
pEbers - Glose C :
102,2 Quant à (l’expression selon laquelle) son centre mental est « embrumé» comme (celui d’) un sujet qui a mangé les fruits non entaillés de sycomore :
102,3b c’est que le centre mental (du sujet) est étouffé comme celui d’un sujet qui a mangé les fruits non entaillés du sycomore ;
Reprise du texte du pBerlin :
13,5b (sa) chair est fatiguée comme (celle d’) un sujet que la route a éprouvé ;
pEbers - Glose D :
102,11-12a Quant à (l’expression selon laquelle) toute sa chair est chaude comme (elle peut l’être) quand est fatigué l’organisme d’un sujet que la route a éprouvé :
102,12b-13b cela signifie que sa chair est fatiguée à cause de cela comme est fatiguée la chair d’un sujet par l’effet (résultant) d’une longue marche.
Reprise du texte du pBerlin :
13,5c S’il s’accroupit pour faire ses besoins, son anus est pesant ;
13,5d il n’est pas disposé à s’exonérer (normalement de ses) excréments.
13,6b Tu diras à ce sujet : « (Un patient) qui est atteint par un marais d’affectants dans son corps ;
6c il goûte son cœur. 6d Un mal que je peux traiter. »
13,6e Si (toutes ces choses) s’amassent en lui, elles formeront un obstacle.
- Suit un premier traitement causal destiné à « tailler en pièces » ces agents pathogènes.
Suites reportées du pBerlin :
13,11a Médication (indiquée pour) faire passer rapidement son état de réplétion à cause duquel l’intérieur de son corps est pesant.
- Suit une prescription orale.
14,3a Descriptif (médical) concernant un sujet dont l’abdomen est ballonné.
14,3b Faire passer rapidement son état de réplétion.
- Suit une prescription orale.
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17,1-2a Médications (indiquées) pour chasser les infectants (logés) dans le corps, les rétentions (occasionnées par) les infectants, les obstructions anales :
- Suivent les prescriptions de deux clystères successifs dans cette ordonnance, puis 4 autres dans les § 175 à 178).
- Suivent les prescriptions de quatre clystères pour « rafraîchir (le rectum) » dans les § 179 à 182.
18,7 Autres (médications indiquées) pour un muscle qui tremble indépendamment alors que la locomotion est difficile, 8a et pour mettre en pièces les infectants :
- Suivent les prescriptions de deux clystères.
17,6 Médication pour un sujet qui évacue beaucoup de sang (par l’anus) :
- Suit la prescription d’un clystère.
- Suivent les prescriptions de quatre clystères dans les § 175 à 178.
Commentaire. – Dans le langage du XIXe siècle, à propos de l’infection due aux oukhedou, nous aurions dit « qu’il faut y reconnaître l’inflammation intestinale, avec sentiment de pesanteur, de dureté et de ténesmes, et l’engorgement des articulations » (Chabas, 1882, p. 59). Et encore : « Le diagnostic est détaillé dans plusieurs cas et permettrait peut-être à un médecin de spécifier la nature de l'affection. Voici celui d'une fièvre typhoïde : « Lourdeur au ventre ; le col du cœur, malade ; au cœur, inflammation, battements accélérés. Les vêtements pèsent sur le malade ; beaucoup de vêtements ne le réchauffent pas. Soifs nocturnes. Le goût pervers, comme celui d'un homme qui a mangé des fruits de sycomore. Chairs amorties comme celles d'un homme qui se trouve mal. S'il va à la selle, son ventre est enflammé et refuse de s'exonérer » (Maspero, 1875, Livre I, Ch. II, dans sa première rédaction [2] ).
Dans la mesure où j’avais déjà noté rapidement en marge cette pathologie que j’ai eu l’occasion de rencontrer en Afrique, à côté du typhus et des fièvres tropicales, comme une des possibilités en retraduisant ce texte égyptien, je rendrai ici à César ce qui appartient à César en reposant la question. Afin de ne pas forcer le texte, étudions très rapidement la clinique moderne et replaçons les éléments dans trois tableaux comparatifs et récapitulatifs.
3. La fièvre typhoïde et les autres salmonelloses
Les salmonelloses comprennent deux principaux types d'infections : 1) d'une part, la fièvre typhoïde due au bacille d’Eberth, et les fièvres paratyphoïdes dues à S. Paratyphi A (principalement en Afrique), S. Paratyphi B (Europe) et S. Paratyphi C (Extrême Orient) ; 2) d'autre part, les salmonelloses non typhiques (dites mineures).
Les fièvres typhoïde et paratyphoïde [3] constituent des septicémies graves [4]. Elles ne sont pas éradiquées (endémique en Afrique, Proche et Moyen-Orient, en Inde). La fièvre paratyphoïde est beaucoup moins fréquente (1/10) et son évolution est moins explosive. Les fièvres typhoïdes sont de bons exemples d’infections bactériennes à point de départ lymphatique mésentérique avec migration vers la circulation sanguine par le biais du réseau lymphatique.
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Plus précisément, sur le plan physiopathologique, après ingestion, les bacilles typhiques adhérent sur les entérocytes et les follicules lymphoïdes, sont internalisés par le système actine dépendant, accèdent à la lamina propria, sont phagocytés par les macrophages dans lesquels ils se multiplient et rejoignent les ganglions mésentériques. Quelques bacilles gagnent le courant sanguin, la plupart sont détruits dans les ganglions lymphatiques [5]. Leur lyse libère l’endotoxine O (liée à l’Ag O). Celle-ci est charriée dans le sang, et par suite provoque la fièvre, le tuphos, et localement les ulcérations (perforations) des plaques de Peyer (lésions intestinales hémorragiques) par irritation du sympathique ; et encore, des diarrhées ou des alternances diarrhées/constipations. S. typhi peut aussi gagner d'autres tissus ou organes par le sang. Ainsi, la vésicule biliaire, la moelle osseuse et la rate deviennent sources de surinfection.
Il s’agit donc d’une toxi-infection. Le diagnostic doit être évoqué devant toute fièvre traînante accompagnée de signes digestifs ou neurologiques. En effet, il est susceptible que la maladie débute insidieusement par un état fébrile douloureux non spécifique. Par exemple, les céphalées peuvent être frontales, diffuses ou même absentes. Les troubles s’installent ensuite progressivement et de façons inconstantes mais souvent évocatrices dans l’axe neuro-digestif. L’examen montre habituellement un abdomen météorisé, sensible, gargouillant mais sans défense ni contractures. Spléno et hépatomégalie parfois présentes (moins de 50% des cas). Signes cutanées fugaces et peu visibles sur peaux foncées [6]. L’angine de Duguet est rare mais les dysphagies accompagnées de signes buccaux sont souvent présentes. Des râles bronchiques peuvent être audibles. Un pouls dissocié est une bonne caractéristique. Le tuphos également (dans plus de 10% des cas), il peut aller jusqu’au coma. Dans de bonnes conditions l’évolution spontanée mène à la guérison en trois à quatre semaines. Mais les rechutes sont fréquentes et des complications sont possibles (dans environ 15% des cas). Il faut ajouter que paradoxalement, certaines complications sont dues à la bonne efficacité des traitements car elles proviennent de la libération des toxines des germes tués [7].
Les salmonelloses non typhiques sont responsables de gastroentérites, voir des formes invasives chez les sujets à risques. Les salmonelloses non typhiques, dont les toxi-infections alimentaires collectives sont dues à des salmonelles non typhiques dans plus de la moitié des cas. La contamination des aliments et de l’eau peut se faire par les animaux. La clinique associe une fièvre, une diarrhée, des vomissements, des douleurs abdominales réalisant le tableau d'une gastro-entérite. L'évolution est favorable en 2 à 3 jours. Elles se compliquent parfois de bactériémies, de septicémies et de localisations extradigestives, en particulier vasculaires ou être responsables d'arthrites réactionnelles [8]. Les salmonelloses non typhiques sont fréquentes et graves chez les enfants « à risque » comme les nouveau-nés et les nourrissons de moins de 3 mois, avec fréquence d’ostéites et de méningites [9]. Cependant, le rôle protecteur du lait maternel explique leur rareté avant le sevrage dans les pays en voie de développement et comme autrefois en Égypte ancienne (Jean, Loyrette, 2010, p. 130-131).
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Par contre, l’association schistosomoses-salmonelloses est à l’origine de tableaux de fièvre typhoïde chez des enfants infectés par des salmonelles non typhiques, les vers adultes des schistosomes fixant électivement les salmonelles [10]. Chez l’adulte, des lésions vésico-urétérales peuvent favoriser l’élimination prolongée des germes par les urines. Or cette pathologie était alors très fréquente. En effet il faut également tenir compte, en zone tropicale et à différentes époques, de la malnutrition et des affections associées.
Historique. – La fièvre typhoïde (Louis 1829) a été appelé typhus abdominal parce qu’elle fut longtemps confondue avec le typhus exanthématique avec lequel elle partage le « tuphos ». Cette maladie infectieuse avait été individualisée en 1818 par Pierre Bretonneau qui l’avait appelée « dothientérite » en raison des lésions en boutons qu’elle produit sur les parois intestinales. Le germe est découvert par Eberth en 1880. L’affection est reconnue comme une septicémie par Schottmüller en 1900.
Auparavant cette maladie était scindée en une multitude de descriptions regroupant les signes avec plus ou moins de bonheur [11]. Par exemple pour Sauvage [12], la « classe des fièvres » est divisée en trois ordres, dont « les fièvres continues », les « fièvres bénignes », qui sont « l'éphémère » et la « synoque », et, les « fièvres malignes », appelées « le typhus » et « la fièvre hectique ». Sous le nom de typhus, nous trouvons décrits : le « typhus carcerum de Pringle », la « fièvre lente nerveuse » ou nervous fever, « la fièvre hectique nerveuse de Willis », le « typhus d'Égypte » (de Prospero Alpini) ; enfin, le « typhus ictérode » ou « fièvre jaune d'Amérique ». Ces diverses maladies sont décrites comme étant des formes ou des variétés du typhus.
Il est cependant difficile de préjuger des formes pharaoniques dans la mesure où « la physionomie clinique des affections typhoïdiques est parfois particulière en région tropicale » [13]. Par exemple les missionnaires en Afrique Centrale insistaient sur les lèvres fuligineuses, la langue rôtie, souvent également fuligineuse, l'angine de Duguet (ulcérations ovalaires superficielles sur les piliers antérieurs du voile du palais), la dissociation pouls / température, le tuphos important mais calme, parfois un état encéphalitique, une myocardite, collapsus cardio-vasculaire et des complications digestives hémorragiques (méléna), une néphrite, une pyélite, des ostéites. Il faut encore noter une convalescence très longue avec asthénie persistante, suppurations osseuses … et le rôle des mouches qui se posent sur les selles infectées d’un malade ou d’un porteur sain et qui peuvent permettre la contamination des aliments ou de l'eau avec lesquels elles entrent en contact. De tout cela il ressort que la perception clinique des anciens médecins égyptiens pourrait mieux se rapprocher de cette expérience sauf toutefois pour l’étude approfondie de la « myocardite » (visible seulement à l’électrocardiographie, l’histologie, l’anatomopathologie) – et qui n’était par conséquent pas perçue à l’époque comme un élément cardiaque, hormis probablement dans les répercutions « atonisantes » représentées par les chutes tensionnelles (Jean, 2012, p. 11-12).
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4. Mumiologie
Voici déjà au moins pour l’époque tardive en Égypte une possibilité de traces typhoïdiques sur une momie (n° 20.2.1.4) de la nécropole de Douch (Oasis de Kharga) étudiée par Françoise Dunand et Roger Lichtenberg [14].
L’observation des restes très bien conservés de cette petite fille de 7 ans a montré, au moment du débandelettage, que l’enfant portait une perruque retenue par une cordelette de lin passant sous le menton. Cette prothèse cachait en fait une alopécie avec une repousse de cheveux courts un peu dans tous les sens, ce qui est tout à fait distinctif. Le caractère généralisé de cet aspect permet d’éliminer le diagnostic de pelade. Or, l’alopécie diffuse aiguë est bien une des manifestations cliniques décrites à l’occasion d’une fièvre typhoïde dans ses formes prolongées. La chute en masse débute généralement 70 à 90 jours après la montée thermique. Rapide mais rarement totale, elle peut durer 1 à 2 mois. Elle est surtout prononcée dans la région pariéto-temporale, en arrière et au-dessus des oreilles. Et ensuite, sauf dans de rares cas, la repousse est complète [15]. En proposant cette pathologie, Roger Lichtenberg ne parle pas de taches lenticulaires visibles, mais ces petites macules érythémateuses qui apparaissent cliniquement de manière fugace, sont classiquement peu nombreuses et dispersées [16]. De plus, il s’agit d’une momie « noire », brillante, en raison de la présence d’un enduit répandu sur l’ensemble de la peau, et elle était également saupoudrée de débris végétaux de couleur rouge foncé. Ce phénomène pouvait donc ne pas être visible en l’état. Cet élément diagnostique est donc tout à fait possible.
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Une autre curiosité m’interpelle. La radiographie du crâne laisse voir la présence deux dents d’adulte, une molaire et une prémolaire, placées au niveau de l’oro-pharynx (pl. 38,2). Devant cette découverte inhabituelle, celles-ci ont été prélevées pendant une autopsie très localisée au niveau de la région de la parotide droite. Pour les auteurs, cette présence « relève d’un rituel funéraire qui n’a, à notre connaissance, jamais été signalé ». Ce qui est vrai. Mais ne se pourrait-il pas que ces dents issues de personnes plus « robustes », voire ayant elles-mêmes triomphé de la maladie, aient été placées à cet endroit probablement après la mort de l’enfant pour constituer une protection contre les problèmes de l’oro-pharynx pouvant être également rencontrés dans cette affection ? Et ceci afin que cette enfant ne continue pas à souffrir de cette façon dans son éternité. Le destin tragique de cette petite fille rejoindrait alors un passage du texte du Papyrus de Berlin que nous venons d’étudier : « La bouche (r3) de son tractus digestif (jb) est douloureuse » (13,3b2) – ce qui se rapporte à des troubles stomatologiques, ORL et digestifs hauts rencontrés dans la fièvre typhoïde : lèvres fuligineuses, langue rôtie, fuligineuse, ulcérations amygdaliennes antérieures blanchâtres (angine de Duguet), dysphagies douloureuses (cf. tableau en supra).
La typhoïde peut très bien correspondre au contexte de fouilles décrit par les auteurs, et qui laisse entrevoir, par l’étude des restes des personnes qui y ont été découvertes et le matériel mis au jour, des conditions d’hygiène médiocres, entraînant la possibilité pour les sujets y ayant habité, de boire de l’eau plus ou moins souillée.
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Perspectives
Dans la mesure où dans cette septicémie les coprocultures ne semblent pas toujours positives chez le sujet vivant, pour les momies non éviscérées et pour les momies éviscérées, il doit être possible, même prudemment, de proposer une étude de la pulpe dentaire afin de rechercher des traces d'ADN caractéristiques de Salmonella enterica comme l’a fait l'équipe dirigée par Manolis Papagrigorakis à Athènes [17] avec la méthode d'amplification de l'ADN mise au point par l'équipe de Didier Raoult, de l'unité des Rickettsies du CNRS localisée Marseille [18].
[1] Richard-Alain JEAN, « Infectiologie (4). Quelques traces écrites possibles de la typhoïde en Égypte ancienne (1), les textes », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 14 juin 2014.
[2] G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique, I, Paris, 1895, p. 218-219, où ce diagnostic n’est pas reproduit.
[3] E. Pilly, Maladies infectieuses et tropicales, Paris, 2012 ; Y.L. Pennec, M. Garre, « Salmonelloses de l’adulte », Encycl Med Chir, Maladies infectieuses, Paris, 2003, 8-018-A-15.
[4] M. Gentillini, Médecine tropicale, Paris, 2005, p. 355-359.
[5] P. Aubry, Les salmonelloses, Collection Diplôme de Médecine Tropicale des Pays de l’océan Indien, Paris, 2011, p. 1.
[6] O. Guard, P. Delpy, J. Sirol, « Les infections à salmonelles au Tchad. À propos de 152 cas observés à l’Hôpital de Fort Lamy en 1970 », Méd trop, 33, 1973, p. 57.
[7] Ces complications toxémiques sont des équivalents de la réaction de Jarish-Herxheimer rencontrée dans des traitements trop puissants de la syphilis avec choc endotoxémique, myocardite toxique, encéphalite typhique … (R. Finkelstein, A. Markel, « New and old drugs for treating typhoid fever », J Inf Dis, 161, 1990, p. 159.
[8] Aubry, op.cit., 2011, p. 3.
[9] F. Djossou, A. Martrenchar, D. Malvy « Infections et toxi-infections d’origines alimentaire et hydrique : orientation diagnostique et conduite à tenir », Encycl Med Chir, Maladies infectieuses, Paris, 2010, 8-003-A-82.
[10] D. Gendrel, « Salmonelloses de l’enfant », Encycl Med Chir, Maladies infectieuses, Paris, 1997, 8-018-A-10.
[11] Voir par exemple : Jean-Paul-Albert-Marie Tessier, Historique et causes de la fièvre typhoïde, Paris, 1872.
[12] François Boissier de Sauvage de Lacroix, Nosologie méthodique, dans laquelle les maladies sont rangées par classes, suivant le système de Sydenham, & l'ordre des botanistes, Paris, Hérissant le fils, 1771, I. p. 245.
[13] M. Vaucel, « Salmonelloses en régions tropicales », Encycl Med Chir, Médecine Tropicales, Paris, 1955.
[14] Fr. Dunand, J.-L. Heim, N. Henein, R. Lichtenberg, Douch I. La nécropole. Exploration archéologique. Monographie des tombes 1 à 72. Structures sociales, économiques, religieuses de l’Égypte romaine, DFIFAO 26, Le Caire, 1992, p. 51-52 (Momie 20.2.1.4.) et Pl. 24. Fr. Dunand, R. Lichtenberg, « Une tunique brodée de la nécropole de Douch », dans BIFAO, 85, Le Caire, 1985, p. 133-148 et dont la planche XXIII B est reproduite ici même ; R. Lichtenberg, « La radiographie des momies égyptiennes dans le désert - Archéologie, paléo-pathologie, paléo-démographie, anthropologie », dans Le Manipulateur / A.F.P.P.E., 102, Septembre 1991 ; R. Lichtenberg, « Momification en Égypte à l’époque tardive », dans Hildegard Temporini, Wolfgang Haase (Eds), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt (ANRW): Geschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung, Vol. 37, II, Walter de Gruyter, Berlin, 1995, p. 2757 ; Fr. Dunand, R. Lichtenberg, Les momies et la mort en Égypte, Errance, Paris, 1998, p. 223 et fig. 1 p. 220 ;
[15] Cf. par exemple : R. Degos, Dermatologie, Collection Médico-Chirurgicale, II, Flammarion, Paris, 1962, p. 1054.
[16] Cf. par exemple : M. Gentilini, Médecine tropicale, Flammarion, Paris, 2005, p. 356.
[17] M. J. Papagrigorakis, C. Yapijakis, P. N. Synodinos, E. Baziotopoulou-Valavani, « DNA examination of ancient dental pulp incriminates typhoid fever as a probable cause of the plague of Athens », Int J Infect Dis, 2006, 10, p. 206-214 ; M. J. Papagrigorakis, P. N. Synodinos, C. Yapijakis, « Ancient typhoid epidemic reveals possible ancestral strain of Salmonelle enterica serovar Typhi», Infect Genet Evol, 2007, 7, p. 126-127.
[18] M. Drancourt, D. Raoult, « Paleomicrobiology : current issues and perspectives », Nature Microbiology Reviews, 2005, 3, p. 23-35.
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