INFECTIOLOGIE - IV - La typhoïde (1)
Article complet - samedi 14 juin 2014 :
Plusieurs articles à suivre
- Richard-Alain JEAN, « Infectiologie (4). Quelques traces écrites possibles de la typhoïde en Égypte ancienne (1), les textes », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 16 juin 2014.
INFECTIOLOGIE (4)
QUELQUES TRACES ÉCRITES POSSIBLES
DE LA TYPHOÏDE EN ÉGYPTE ANCIENNE (1)
LES TEXTES
Richard-Alain JEAN
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1. Les textes
pBerlin 3038 - 41 / 154 (13,3-7)
pBerlin 154 (13,3a-6c) :
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13,3a Autre (remède), (pour) un « marais (intérieur) » causé par un envoi d’enflammants (a) :
13,3b Son abdomen est pesant ; la bouche de son tractus digestif est douloureuse (b) ;
13,3c son intérieur est brûlant et piquant (c) ;
Notes. – (a) Il s’agit de la formation interne pathologique d’un « marais (intérieur) » (sš) putride provoqué par l’envoi (h3b) « d’enflammants » (t3w), participe présent substantivé avec le sens de « ceux qui enflamment » construit sur le modèle médical canadien « les irritants » [2]. Nous verrons que ces éléments actifs sont en relation avec les « infectants » (wḫdw), « ceux qui infectent » ... En somme, il se trouve un cause interne infectante, provoquée par l’envoi par autrui, et la réception par le malade, d’une étiologie externe contaminante (causes externes internalisées).
(b) C’est-à-dire que la douleur débute à partir de l’entrée haute du tractus digestif (r3) accessible aux problèmes stomatologiques et ORL. Elle se transmet à la suite du « tube digestif (jb) » – prolongement tubulaire de la cavité buccale (r3) – jusqu’à l’anus, et irradie puisque l’abdomen (ẖt) devient pesant.
(c) La totalité de l’intérieur (jb) du sujet devient brûlant (t3w) et piquant (ḫnws).
Voir la glose du Papyrus Ebers qui emploie les mêmes mots :
pEbers 855s (101, 20 - 102,2) / Glose A
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101,20 - 21a Quant à (l’expression selon laquelle) « la bouche (α) brûle et elle est piquante », et quant à (l’expression) « l’intérieur est piquant » (β) :
101,21b à 102,1- 2b cela signifie que c’est de la chaleur qui circule à cause de son cœur (du sujet) (γ). Cela veut dire que son intérieur-jb est brûlant sous l’effet du feu comme (chez) un sujet qui est torturé par les moustiques (δ).
Notes. – (α) jr « jw r(3) t3=f, ḫnws(=f) » : Ici, la bouche (r3), il n’y a pas lieu, dans ce contexte clinique, de modifier l’expression (r3 : corrigé r3-jb par la Grundriss IV,1, p. 3, repris par Bardinet, 1995, p. 109, et par Westendorf, 1999, II, p. 696).
(β) jr « ḫnws jb » : La deuxième locution indique la progression du mal aux organes internes (jb) du sujet entier, et avec les mêmes effets piquants (ḫnws) , partant du haut vers le bas. Il faut comprendre de cette façon que tout le corps est brûlant jusqu’à en être douloureux, y compris la tête et les membres.
(γ) Explication 1, physiopathologie : La chaleur (t3w) circule (ḫns) car elle est transmise par le cœur (ḥ3ty) qui bat. Il s’agit de la transmission généralisée d’un phénomène thermique ; en conséquence, l’intérieur (jb) du sujet devient brûlant sous l’effet du feu (t3) qui provoque une élévation de la température interne. La fièvre se répand dans l’organisme.
δ) Explication 2, épidémiologie : Cette fièvre est comparée à ce qui peut advenir, par exemple, chez quelqu’un qui a été torturé (smt) par « les moustiques (sw ḫnw3(.w)) ». On peut comprendre ainsi que le feu des multiples piqûres, subies par celui qui a « entendu (smt) » les moustiques, est passé d’externe en interne (causes externes internalisées ; cf. supra, Tab. 1). Ceci fait immédiatement penser à la transmission de maladies infectieuses portées par cette famille d’insectes (les Culicidae).
Ce que ce texte ne dit pas. – Nous ne savons pas encore si la quantité de feu émise par le résultat des tourments provoqués par ces insectes est proportionnelle à l’élévation, à la durée et à la gravité de la fièvre.
Première synthèse partielle
Si l’on fait déjà une synthèse provisoire et partielle de ces deux passages, on peut comprendre que le jb s’illustre ici comme une suite interne communiquant avec le cœur ḥ3ty à l’intérieur duquel se transmet la chaleur liée aux « agents enflammants » convoyés du dehors en dedans puis donc est redistribuée par l’action dynamique du myocarde dans tout l’intérieur du corps du sujet pour provoquer une fièvre qui finira par se localiser au niveau du tube digestif pour former un « marais (interne) » putride. Il s’agit bien de la description d’une « circulation » d’éléments délétères en rapport étroit avec le sang.
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Suite du Papyrus de Berlin (texte hiéroglyphique en supra)
pBerlin 154 (13,4ab-13,4d) :
13,4ab Ses mises lui sont pesantes ; il ne peut supporter plusieurs linges (d).
13,4c Il a soif la nuit (e).
13,4d Il goûte son cœur (f).
Notes. – (d) jw wdn(=w), ḥbs.w=f r=f : cette section symptomatique débute par la sensation que le patient ne peut accepter d’être couvert car ses vêtements lui sont pesants (wdn), puis, le texte insiste, littéralement, il ne peut « endurer » (wḫd), sous-entendu, même le poids de ceux-ci ou d’une couverture. Cela se rapporte à l’effet thermique occasionné, mais aussi à un phénomène douloureux superficiel de contact.
(e) La soif est ici un signe de déshydratation provoqué par l’élévation de la température. L’inconfort, la douleur et le besoin de boire le maintiennent éveillé la nuit.
(f) Voir la glose suivante du Papyrus Ebers :
pEbers 855w (102, 9-11) / Glose B
9-10a Quant à (l’expression selon laquelle) « son tractus est confus et goûte son cœur » (α) :
10b cela signifie que son tractus se trouve resserré, obscur dans l’intérieur de son ventre,
à cause de la fureur (β).
11 Il sera fait les traitements destinés au cas où son tractus est dévoré (γ).
Notes. – (α) jr « jw jb=f wḫ=f, dpt=f ḥ3ty » : Description 1) d’une sensation de confusion et d’angoisse (wḫ) – un peu comme une souffrance nocturne (kkw) anxieuse – à laquelle s’ajoute 2) l’impression de goûter (dp) à son cœur, à sa force, les deux cœurs figurés (jb et ḥ3ty) semblent se mélanger (une sorte de retournement ? ou à tout le moins ils interviennent l’un sur l’autre) et d’où résulte une répulsion organique, un « haut-le-cœur », et donc, un « dégoût ».
(β) Une part importante du tractus digestif (jb) du sujet se resserre (g3w) jusqu’à devenir obscure (kkw), vide, comme le néant, sous l’action de la fureur (ḏnd) des entrailles contenues dans son ventre (ẖt). C’est son estomac qui se rebelle.
(γ) On peut aussi comprendre : dans le cas où son tractus (jb) est vidé sous l’effet de l’action de ce qui dévore (ʿm) (de façon pathologique).
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Il s’agit donc de l’écœurement provoqué par une confusion interne vagale faisant ici se confondre les deux sièges physiques dont l’un communique directement avec l’extérieur par la bouche du sujet qui ressent en lui un phénomène qui lui « lève le cœur ». Voir l’ancienne expression française « Avoir le cœur au bord des lèvres ». C’est la nausée.
Sont ici en cause, plusieurs « états » et « géographies » du même tractus (jb) dont les Égyptiens commençaient à percevoir très confusément certaines relations. Le premier cité (10b) correspond à un « moment nerveux », le deuxième à une « localisation stomacale » (10b) et le dernier (11) à un endroit malade quelconque de l’organisme. C’est pour cette raison, pour ne pas ajouter à la confusion générale du locuteur antique et des récepteurs modernes, que j’ai utilisé partout dans ce passage, le mot « tractus » car il se rapporte ici en réalité à une notion de « communication » entre différents organes se chevauchant et intervenant les uns sur les autres. Dans ce texte, les « centres » se transmettent à différents moments des informations circulant dans « les tractus » et ayant effets sur eux. Ce sont des aspects de la physiopathologie.
Ce que ce texte ne dit pas. – Si le tube digestif et le cœur sont biens nommés, le système nerveux ne l’est pas. Il faut absolument se souvenir ici que cette fonction est supposée portée par le cœur, il n’était donc pas question de le désigner officiellement d’une autre façon dans un texte canonique. Cependant son action est probablement sous-entendue par la dénomination d’un déséquilibre très bien ressenti : la fureur (ḏnd) – cf. supra, note (b).
Deuxième synthèse partielle
Ces textes portent en filigrane des réactions d’origine centrale (bulbe) et/ou sympathique et vagale. Cette genèse n’est bien entendu pas désignée mais ces résultantes cliniques transparaissent très largement de façon objective et subjective.
Suite du Papyrus de Berlin (texte hiéroglyphique en supra)
pBerlin 154 (13,4e) :
13,4e Il se trouve embrumé (g) comme un sujet qui a mangé des fruits (non entaillés)
de sycomore (h).
Notes. – (g) C’est-à-dire perdu dans des nuages (jgp) ou abîmé dans les brumes très épaisses et sombres comme peuvent l’être celles, plus rares mais intenses, des pays chauds (brouillard d'advection chaud du delta égyptien par exemple). Ceci dénote cette fois un symptôme neurologique se traduisant par une perte de contact avec le réel, le patient en étant « distrait » mais cette fois par un accablement physique dont une comparaison est donnée dans la suite de la phrase.
(h) Le sujet a ici absorbé (wnm) des fruits (k3.w) de sycomore (nh.t), c’est-à-dire des figues (syconia) de Ficus sycomorus L. (famille des Moracées), mais non incisées. Or, c’est cette opération qui les mène à maturité et augmente ainsi leur teneur en sucre. Ce mûrissement accéléré est provoqué par la libération d'éthylène. Ce gaz jouerait aussi le rôle de stimulateur de croissance. Les figues vertes ici ingérées sont en outre sèches, dures et insipides. Elles provoquent des embarras digestifs importants, qui peuvent affaiblir considérablement des sujets fragiles comme des enfants et des vieillards du fait de déshydratations aiguës accentuées en saisons chaudes.
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On peut également penser qu’une personne réduite à consommer ces pseudo-fruits indigestes ne parvient pas à atteindre une glycémie correcte. Or, l’hypoglycémie provoque des malaises qui ne peuvent être levés qu’après l’ingestion de sucres. Ceci peut porter le sujet à prendre encore plus de cette mauvaise nourriture et auto-aggraver le problème. Notons encore qu’une exposition à la lumière après consommation de figues fraîches peut, bien qu’assez rarement, occasionner une réaction phototoxique [3].
Remarquons aussi qu’en Égypte, ce fruit issu de variétés parthénocarpiques reste parasité par Sycophaga sycomori, et dont les larves sont elles-mêmes infestées par un autre insecte du genre Apocrypha.
Voir la glose suivante du Papyrus Ebers :
pEbers 855t (102, 2-4) / Glose C
2-3a Quant à (l’expression selon laquelle) son centre mental est « embrumé (α) comme (celui d’) un sujet qui a mangé les fruits non entaillés de sycomore » :
3b c’est que le centre mental (du sujet) est étouffé (β) comme celui d’un sujet qui a mangé les fruits non entaillés du sycomore (γ).
Notes. – (α) jr « jw jb=f (j)gp(w) mj s wnm~n=f k3.w n(y).w nh.t » : Le Papyrus Ebers apporte ici une précision, c’est le centre mental (jb) du patient qui est embrumé, pris dans un nuage ((j)gp), isolé dans le brouillard. Le Papyrus de Berlin le sous-entend, dans la mesure où il ne s’agit pas de décrire dans cette phrase ni une affection spécifique du muscle cardiaque ni une affection du tube digestif. Ainsi c’est bien la conscience qui est atteinte par le mal décrit dans ces deux stiques.
(β) Le centre mental (jb) du patient est recouvert (ḥbs) brutalement, c’est-à-dire étouffé, engourdi, assourdi, annihilé. Le malade est prostré, dans un état de stupeur et d'abattement. Cet état est compatible avec une hypoglycémie cérébrale et sert de modèle symptomatique. Les autres signes non digestifs du texte du Papyrus de Berlin indiqués plus haut et ci-dessous confirment cette comparaison égyptienne. On peut aussi penser à une sorte de malaise vagal, voir à un tuphos.
(γ) Deuxième cause externe internalisée possible. Elle peut être d’origine alimentaire par comparaison, soit par l’absorption de fruits verts, soit par la transmission par des insectes contenus et dont les Égyptiens avaient la connaissance et correspondant à la catégorie des t3w « enflammants » porteurs d’wḫdw « infectants » (cf. supra, Tab. 1). Dans la mesure où seuls les wḫdw sont responsables de l’effet physiopathologique, donc interne, formant « marais » et de ses conséquences, on peut raisonnablement risquer une dissymétrie enflammants/infectants pour les resituer dans un contexte dé-externalisés cessant également de confondre la « catégorie » et la « dénomination » dans la même étiologie (cf. supra, Tab. 1). Ceci amène à créer une autre colonne à la droite du tableau : celle où les « enflammants divers » peuvent transmettre le même « infectant particulier ».
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Ceci revient à dire que moustiques et vermines sont des animaux transporteurs de la catégorie des « enflammants » et qu’ils sont susceptibles de transmettre un agent pathogène spécial, un « infectant » vecteur d’une maladie, ici, une fièvre. Comme cette partie de la glose ne correspond qu’à un exemple, seul reste la casse afférente aux moustiques qui peuvent finalement représenter tout insecte volant (mouches …) et toute vermine (poux …), et donc un insecte générique. Ce schéma est cependant valable pour d’autres maladies transmissibles.
Ce que ce texte ne dit pas. – Le texte ne parle pas expressément du cerveau (organe) mais du « centre mental » (jb) et dont la localisation n’est pas nommée. Il serait aussi possible de traduire par « tout son être », dont la tête qui est sous-entendue « environnée de nuages » car ceux-ci se trouvent en hauteur, comme la brume qui s’élève. Le texte ne parle pas non plus d’eau ou d’air qui sont faciles à représenter. C’est l’être lui-même qui est « étouffé ». Le tube digestif d’une personne prise en exemple est bien sous-entendu, mais pas celui du malade. Ce sont seulement les effets secondaires – non détaillés – qui imposent la comparaison. Nous savons aujourd’hui qu’ils sont d’ordres métabolique et neurobiologique.
Troisième synthèse partielle
Les notions physiopathologiques naissantes s’enchaînent. La « part nerveuse centrale » augmente. La cause externe possible reste les insectes : éventuellement d’une façon directe dans la première, puis, sans être nommés dans la troisième. La détermination des causes effectives (cf. supra, Tab. 2) ne préjuge pas de la confusion probablement faite par les anciens Égyptiens entre les rôles de transmetteurs et de porteurs déterminant les effets directs (piqûres) et indirects (mouches, mains sales). Ils ne seront effectivement vraiment compris que beaucoup plus tard (au XIXe siècle).
Reste bien tout de même ici, et il faut le souligner, l’idée de transport d’un agent pathogène.
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Suite du Papyrus de Berlin (texte hiéroglyphique en supra)
pBerlin 154 (13,5b) :
13,5b (sa) chair (i) est fatiguée comme (celle d’) un sujet que la route a éprouvé (j).
Notes. – (i) Sa chair (jwf), au sens le plus général, c’est-à-dire « toutes ses chairs », dont les muscles.
(j) Littéralement : « que la route a trouvé (gmj) », c’est-à-dire que le sujet est fatigué (wrd), exténué après cette épreuve, comme après une longe marche.
Voir la glose suivante du Papyrus Ebers :
pEbers 855x (102, 11-14) / Glose D
11-12a Quant à (l’expression selon laquelle) toute sa chair (α) est chaude comme (elle peut l’être) quand est fatigué l’organisme (β) d’un sujet que la route a éprouvé :
12b-13b cela signifie que sa chair est fatiguée à cause de cela comme est fatiguée la chair d’un sujet par l’effet (résultant) d’une longue marche (γ).
Notes. – (α) jr « jw jwf=f r-ḏr=f ḏdn(=w) mj wrd jb n(y) s, gm~n(=f) sw w3.t » : C’est « sa chair tout entière (ḏdn(=w)) » qui devient chaude.
(β) La fatigue physique et l’élévation de la température gagnent tout « l’organisme (jb) » d’un sujet sain éprouvé par des mouvements longuement menés et donc générateurs de chaleur. Ceci correspond à la compréhension physiologique d’un des aspects de l’homéothermie. La comparaison de cette situation normale avec une autre anormale et décrite représente encore la naissance en Égypte de la notion physiopathologique. Cette étiologie a montré que plusieurs « causes » différentes engendraient les mêmes « effets ».
(γ) Comme après un long déplacement (šm.t 3w.t), une marche forcée. Cette situation peut également être comparée à un phénomène bien connu des médecins militaires, constaté après une très longue marche éprouvée par des fantassins, et qui comportes des signes aigus de fatigue générale et locomotrice, accompagnés d’une conservation totale des principes vitaux et des réflexes comme par exemple la « marche automatique » qui peut s’effectuer en dormant. D’où l’expression des « pioupiou » comme « l’ami Bidasse » : « la route a trouvé son homme ».
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Ce que ce texte ne dit pas. – Les muscles ne sont pas cités nommément, ils sont compris dans l’unité de la chair formant l’organisme humain. Le système nerveux ne l’est pas non plus.
Quatrième synthèse partielle
L’accent semble se porter sur un délabrement général aigu fiévreux après une recherche physiopathologique importante soulignée par les quatre gloses. Il s’agit très probablement de la description de l’une de ces nombreuses fièvres sévissant dans les pays chauds, mais avec des signes évocateurs intéressants et dont nous allons reparler.
Suite du Papyrus de Berlin (texte hiéroglyphique en supra)
pBerlin 154 (13,5c-13,6e) :
13,5c S’il s’accroupit pour faire ses besoins, son anus est pesant ; (a)
13,5d il n’est pas disposé à s’exonérer (normalement de ses) excréments. (b)
13,6b Tu diras à ce sujet : « (Un patient) qui est atteint par un marais d’affectants
(c) dans son corps (d) ; 6c il goûte son cœur (e). 6d Un mal que je peux traiter. » (f)
13,6e Si (toutes ces choses) s’amassent en lui, elles formeront un obstacle.
- Suit un premier traitement causal destiné à « tailler en pièces » ces agents pathogènes.
Notes. – (a) Si le sujet se met en position (litt. s’assoit, ḥmsj) pour se présenter à la selle, ses déjections attendues sont liquides (wzš), et son anus (pḥwy) est pesant (dns), il éprouve des ténesmes.
(b) Confirmation des difficultés à aller normalement à la selle.
(c) Nous trouvons ici la cause interne : un « marais » putride gouverné par des « affectants » (wḫdw). Ce sont des agents pathogènes.
(d) Ces « affectants » se répandent comme un « marais » dans le tronc du patient jusqu’à créer les troubles organiques déjà définis plus haut, et même au-delà dans le reste du corps accessible à la fièvre, et aux douleurs infligées par le mal (cf. supra).
(e) Le malade est nauséeux. Ce thème clinique rappelé ici semble récapituler un ensemble de symptômes où se confondent les centres (jb) neuro-cardio-vasculo-digestifs. Il s’agit d’une tentative de définition physiopathologique englobant la cause perçue (6b-6c).
Cet état physiopathologique particulier est théorisé dans la fig. 1, puis commenté dans l’un de mes textes à paraître et dont je donne déjà ici même un extrait ci-après.
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(f) Malgré ce tableau clinique inquiétant, cette maladie peut être à la portée du praticien.
(g) Sous-entendu : le « marais », dont les « affectants » sont responsables, est susceptible de s’accroître encore et de provoquer d’autres complications digestives, comme la constipation, voire des alternances diarrhées-constipations. Les « rétentions » causées par les « affectants » qu’il faut chercher à détruire (sḏ, litt. à tailler en pièces), peuvent entraîner ces « obstructions » que l’on retrouve un peu plus loin dans le même Papyrus et sont capables de provoquer des ballonnements (sṯnj), et même, des hémorragies digestives pour lesquelles ne sera préconisé qu’un traitement calmant par clystère.
Suite de l’observation clinique (les traitements à la suite seront étudiés plus tard) [4]
Le médecin poursuivait alors très logiquement sa lecture [5].
pBerlin 3038 - 41 / 157 (13,11 - 14,3) :
13,11a Médication (indiquée) pour faire passer rapidement (a) son état de réplétion (b) à cause duquel l’intérieur de son corps est pesant.
- Suit une prescription orale.
Notes. – (a) Il s’agit de ne pas traîner car la suite du texte nous indique que les « infectants » semblent s’installer. Aussi il faut lutter « rapidement » (sjn) – pour ne pas les laisser remplir complètement le corps.
(b) En effet, le malade entre dans un état de « saturation » (s3j, litt. repu ; rassasié - de sa vie, de son destin), qui se manifeste ici par une sensation de réplétion interne générale qui le rend lourd à l’extrême. Notons que le traitement oral prescrit ressemble à un résumé des traitements précédents. Il est destiné à « tuer » en « taillant en pièces » les « affectants » qui ne veulent pas « céder ». Peut-être est-il composé des ingrédients jugés les plus actifs sur ce cas en urgence ( ?)
On peut penser que l’état de prime abord digestif est ici généralisé et confine à un engourdissement rappelant un syndrome neurologique déjà évoqué (pBln. 154, 13,4e, et pEbers 855t 102, 2-4).
pBerlin 3038 - 41 / 158 (14, 3-4) :
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14,3a Descriptif (médical) concernant un sujet dont l’abdomen est ballonné.
14,3b Faire passer rapidement son état de réplétion.
- Suit une prescription orale.
Dans ce texte, l’accent est clairement cette fois centré sur un aspect digestif entraînant un ballonnement (sṯnj) et donc des gargouillements dus à des gonflements circulant dans la lumière intestinale sous l’influence du transit. Le traitement oral visera à expulser des « morceaux d’affectants » (taillés en pièces) toxiques restés dans le corps du sujet et formant dans son ventre des gaz bouillonnant qu’il faut bien évacuer. L’urgence ici ressentie peut provenir d’une peur de voir se reconstituer ces éléments malins et contre lesquels la lutte a été rude. Rappelons que leur saturation est comprise comme provoquant encore une aggravation générale, qui serait due à l’action délétère d’un poison résiduel.
Nous passerons ensuite directement aux § 164 et 165, dans la mesure où les § 159-160 seront analysés plus tard. Les § 161-162 seront discutés à un autre moment car ils semblent avoir été inclus à cette place par le copiste avant une introduction générale sur les « infectants » (wḫdw) avec les § 163a à 163h (15,1 - 16,5) que nous ne reprendrons pas à cet endroit, pas plus que la suite du §163h (16,5 - 17,1).
pBerlin 3038 - 41 / 164 (17, 1-6) :
17, 1-2a Médications (indiquées) pour chasser les infectants (logés) dans le corps, les rétentions (occasionnées par) les infectants (a), les obstructions anales (b) :
- Suivent les prescriptions de deux clystères successifs dans cette ordonnance, puis 4 autres dans les § 175 à 178).
- Suivent les prescriptions de quatre clystères pour « rafraîchir (le rectum) » dans les § 179 à 182.
Notes. – (a) Constipation opiniâtre qui doit être amollie avec un clystère.
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(b) Fécalome extrait à l’aide d’un lavement évacuateur (et peut-être une opération manuelle).
À l’occasion de poussées aiguës typhoïdiques, j’ai pu observer quelques cas de complications correspondant à des formes frustes de syndrome méningomyélitiques (S1-S2) à liquide clair, transitoires, avec paresthésies en selle décrites comme des sensations de cartonnement et de lourdeur du bassin, de fourmillements fessiers avec constipations opiniâtres et constitutions de fécalomes importants. Deux d’entre elles étaient myocloniques. Or il se trouve également que ce dernier symptôme est bien décrit, mais un peu plus loin dans notre papyrus, au § 174 (18, 7-9) :
18,7 Autres (médications indiquées) pour un muscle qui tremble (a) indépendamment alors que la locomotion est difficile (b), 8a et pour mettre en pièces les infectants (c) :
- Suivent les prescriptions de deux clystères (d).
Notes. – (a) Il s’agit d’un muscle (mt) qui trémule (nrw, litt. qui tremble d’effroi), tout seul (ḏs, litt. soi-même, en personne), indépendamment, donc en produisant des contractions involontaires : une myoclonie.
(b) Alors que le patient a déjà bien du mal à se mouvoir normalement à cause de sa maladie.
(c+d) Il s’agit bien de la même cause infectante traitée par clystère, et se raccordant donc avec la pathologie d’origine digestive.
pBerlin 3038 - 41 / 165 (17, 6-7) :
17,6 Médication pour un sujet qui évacue beaucoup de sang (par l’anus) :
- Suit la prescription d’un clystère.
- Suivent les prescriptions de quatre clystères dans les § 175 à 178.
Il peut s’agir d’une hémorragie digestive importante, ou de plusieurs hémorragies digestives.
Les autres paragraphes du même périmètre
Les § 166 à 173 ne sont pas du tout incompatibles avec notre problématique, ils doivent correspondre à des répétitions placées à cet endroit par le médecin copiste ou le grand étudiant clinicien recollectant ses lectures et qui ne voulait rien perdre. Ces éléments provenaient d’autres sources papyrologiques dont nous n’avons pas encore retrouvé de traces.
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Nous pouvons les résumer de cette façon : Médications pour un patient en danger (167) ; Médications pour extraire les infectants (168) ou pour les tailler en pièces en interne (170) ; contre une atteinte localisée douloureuse (172) ; contre n’importe laquelle de ces atteintes quand elles sont particulièrement dangereuses (173) – ce sont tous des clystères. Un certain nombre de complications sont possibles, au nombre desquelles par exemple des ostéites [6].
Une prescription concerne une impotence des deux jambes (169).
Trois de ces médications visent les voies urinaires : dysurie (166) ; cystite (171) ; pyurie (183). Des troubles rénaux infectieux surajoutés ne sont pas rares dans les fièvres tropicales. Elles peuvent être produites ou majorées par les déshydratations successives.
[1] Richard-Alain JEAN, « Infectiologie (5). Quelques traces écrites possibles de la typhoïde en Égypte ancienne (2), observation et analyse », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, XX juin 2014.
[2] Soit, des expressions canadiennes comme : « asthme induit par des agents irritants » (http://www.em-consulte.com/article/236/figures/syndrome-d-irritation-bronchique), bronchiques ou autres : traité par les « contre-irritants » (http://webprod.hc-sc.gc.ca/nhpid-bdipsn/atReq.do?atid=counter&lang=fra) …
[3] H. Ippen, « Phototoxische reaktion auf feigen », Hautarzt, 1982, 33 (6), p. 337-339.
[4] C’est-à-dire, les lignes 7-8a du § 154 ; puis, pBln. 155 (13, 8-10), et pBln. 156 (13, 10-11).
[5] Restitution de l’ordre probable du prototexte.
[6] Voir par exemple : Y.L. Pennec, M. Garre, « Salmonelloses de l’adulte », Encycl Med Chir, Maladies infectieuses, 8-018-A-15, 2003.
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