CARDIOLOGIE I-V
CARDIOLOGIE I-V (= CARDIOLOGIE 1)
CARDIOLOGIE - A
- Richard-Alain JEAN, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " :
le coeur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, juin 2013, p. 42-
Table :
"La médecine égyptienne"
- Le coeur : observation, auscultation, les maux du coeur.
- Les Infections : un exemples du Papyrus Ebers avec gloses du Papyrus de Berlin,
diagnostic.
- Exégèse médicale : cardiovasculaire, infectiologie.
Articles supplémentaires adjoints à la publication initiale :
CARDIOLOGIE - II
(XVIIIe dyn. - British Museum)
- Richard-Alain JEAN, « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 avril 2013.
NOTES COMPLÉMENTAIRES SUR LE COEUR
EN ÉGYPTE
Richard-Alain JEAN
Je tenais, pour les praticiens et toutes les personnes intéressées, à compléter mon article sur le cœur en Égypte ancienne qui vient juste d’être publié dans l’excellente revue « Pharaon Magazine » [1], en ajoutant ici quelques éléments d’ordres anatomiques [2], physiologiques et physiopathologiques importants, puis, à les illustrer par quelques figures et tableaux qui n’avaient pas pu être reproduits.
1. Anatomie
1.1. Le système cardiovasculaire était assez bien perçu en Égypte depuis longtemps si l’on se reporte à de très anciennes représentations hiéroglyphiques où le logogramme servait par exemple à écrire le nom de quelques souverains des premiers règnes. En effet, même si le nombre des vaisseaux montré varie considérablement dans les gravures du fait de leurs très petites tailles et de simplifications, plusieurs plaquettes en ivoire nous montrent un modèle idéal qui pourra être repris plus tard (ex : Musée du Caire, n° 12053 ; Ph.Mag. 13, p. 44, Fig. 1). Ainsi, une plaquette au nom d’Horus du souverain thinite Âdjib ( ˁḏ jb ) « Cœur-Vaillant » nous montre déjà huit gros vaisseaux, plus deux coronaires (fig. 5). Voir encore des étiquettes de Qaâ, pour la 1e dynastie (2e signe figurant devant son nom d’Horus) et de Péribsen (Sth pr(=w) jb=sn) pour la 2e dynastie [3].
1.2. Situés dans le médiastin postérieur on trouvera « l’œsophage » en arrière et la « trachée-artère en avant ». Un très important vaisseau mt et conduisant bien un liquide (mw) est nommé « le récepteur » (šspw). Notons simplement ici que l’aorte passera progressivement en arrière de l’œsophage. Par exemple dans une scène représentée dans un mastaba de l’Ancien Empire, c’est bien par la crosse de l’aorte qu’un assistant brandit le cœur d’un bœuf venant d’être abattu par le boucher (ex : Giza 2110 [4] ; Ph.Mag. 13, p. 44, Fig. 3). Les Égyptiens avaient également observé de la « graisse de chair » (ḏd3 n jwf ) en situation péricardique et médiastinale.
Fig. 3 bis
1.3. Après les mot anatomiques pharaoniques servant à désigner le myocarde ḥ3ty [5] (cœur vrai), puis différents « tractus » jb [6] (ou encore diverses consciences, états), nous retrouverons en copte les expressions : (hèt) SB [7] « cœur » comme partie du corps, puis aussi « sens, intelligence », et (yb) O [8] « cœur ». En ce qui concerne ce dernier terme, notons également l’akkadien libbu « cœur, ventre, intérieur » [9], l’hébreu lebbâ, leb [10], et l’arabe lubb « cœur », et aussi « noyau », « esprit, intelligence, âme … » [11].
2. Physiologie
Une autre scène gravée dans un mastaba de l’Ancien Empire (Gem-ni-Kai, II, 26) [12] nous indique que l’autonomie cardiaque avait été relevée : « regarde le cœur, il saute dans ma main » (enlevé, il continue à battre).
3. Physiopathologie
3.1. L’organisme « (choqué) par la violence » avec des metou « effondrés », peut succomber à un arrêt « un cœur muet ». Le cœur peut être dit « privé », c’est-à-dire désamorcé. Par exemple encore, on notera un texte où il est question d’un « oubli du cœur », de « fuite du cœur », et encore de « piqûre du cœur ». Ceci doit correspondre respectivement à des extra-systoles, à des tachycardies et à des précordialgies. Il faut encore citer l’angor stable « constrictif » et « labile » puis décrit avec une « douleur rétrosternale » avec irradiations hautes (mâchoire, cou), dans le bras, dans le reste du thorax avec une angoisse diffusée par un « mort qui se déplace en lui » pour définir une sensation de « mort imminente » – cet exemple est particulièrement suggestif ; ensuite, on peut penser à un syndrome de menace qui peut faire craindre un infarctus du myocarde car des traces l’arthériosclérose peuvent être retrouvées sur des momies. Mais dans ce cas le médecin est démuni. Le cœur peut enfin pâtir d’atteintes septiques provoquées par des « infectants » qu’il fait circuler ainsi que la fièvre.
3.2. Schématisation du mécanisme qui met en œuvre des interconnexions de sphères parallèles et communicantes (différents jb) à différents moments (nerveux, cardiaque, stomacal) et « faisant fureur (réactionnelles) » et par suite entraîne la nausée : « goûter son cœur » (Fig. 7).
3.3. Tableaux des défaillances cardiaques considérées en fonction des perceptions égyptiennes palapables (pouls), audibles (auscultation), volumiques (observations locales des réseaux vasculaires) [13] , et toniques (états des métou et retentissement général) (Fig. 8 - a. b. c).
Fig. 9 (© Richard-Alain Jean)
[1] Richard-Alain JEAN, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, juin 2013, p. 42-46 (ISSN 1636-5224). Voir également pour les vaisseaux : Richard-Alain JEAN, « Médecine et chirurgie dans l’ancienne Égypte », dans Pharaon Magazine, n° 11 - novembre 2012, p. 46-51 - (ISSN 1636-5224) - et ici abrégé Ph.Mag.
[2] Travail que j’avais déjà commencé : Richard-Alain JEAN, Anne-Marie LOYRETTE : La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. Aufrère (éd.), éd. L’Harmattan, coll. Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne, 2010 - (ISBN 978-2-296-13096-8) - p. 30-41.
[3] Objets recopiés par exemple dans : Bernard ZISKIND, Bruno HALIOUA, « La conception du cœur dans l’Égypte ancienne », Médecine sciences, vol. 20, n° 3, 2004, fig. 5 a et b p. 372.
[4] George Andrew REISNER, Giza necropolis, I, Oxford, 1942, fig. 241 (G 2110, West wall).
[5] Wb III, 26-27,19 ; LEFEBVRE 1952, § 34 p. 31 ; LACAU 1970, § 237- 245 p. 91-94 ; Alex., 77.2579 (« le cœur », le « muscle cardiaque proprement dit », et aussi : comme siège du sentiment ), 78.2566, 79.1883 (dans les scènes de boucherie) ; BARDINET 1992, p. 39-49 ; WALKER 1996, p. 147-169, 179-186 et 272 « 1. heart, 2. central chest, mediastinum, 3. mind » ; Hannig-Wb I & II,1 - 19536 « Herz » (cœur), « Herzmuskel » (muscle cardiaque) ; CAUVILLE 1997, III, p. 356 « le cœur », et aussi : le siège des sentiments ; ERICHSEN 1954, p. 289, dém. ḥ3.t(y) « cœur ».
[6] Wb I, 59,10 - 60,11 ; LEFEBVRE 1952, § 34 p. 31 ; LACAU 1970, § 237- 245 p. 91- 94 ; Alex. 77.0215, 78.0241 (« cœur », organe du mort, et aussi : siège de la pensée et du sentiment), 79.0155 (avec le sens « estomac ») ; BARDINET 1992, p. 41-49 ; WALKER 1996, p. 147, 169-186, 265 « 1. mind, person, self, own, 2. heart » ; Hannig-Wb I & II,1 - 1318 « Herz » ; CAUVILLE 1997, III, p. 32 « le cœur », et aussi : « le cœur », comme amulette ; PtoLex. p. 58 « heart » ; ERICHSEN 1954, p. 26, dém. jb « cœur ».
[7] KoptHWb p. 394 ; VYCICHL 1983, p. 314-315, SB1. « cœur » comme partie du corps, 2. « sens, intelligence », S, puis B, S°AL, F « cœur ».
[8] KoptHWb p. 264 ; VYCICHL 1983, p. 243, O « cœur ».
[9] LABAT 1976, n° 384 p. 177 et n° 424 p. 193 ; VYCICHL 1983, p. 243.
[10] SANDER, TRENEL, 1979, p. 314-315 ; VYCICHL 1983, p. 243.
[11] REIG 1983, col. 4338 ; VYCICHL 1983, p. 243.
[12] Pierre MONTET, Scènes de la vie privée dans les tombeaux égyptiens de l’Ancien Empire, Strasbourg, 1925, p. 174.
[13] Voir par exemple pour le réseau veineux superficiel : Richard-Alain JEAN, Anne-Marie LOYRETTE : La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. AUFRERE (éd.), éd. L’Harmattan, coll. Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne, 2010 - (ISBN 978-2-296-13096-8) - p. 255-266.
CARDIOLOGIE - III
IIIe P.I. - Musée du Louvre
(© Richard-Alain Jean)
- Richard-Alain JEAN, « Notes complémentaires sur le cœur en place, embaumé, ou perdu en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 20 mai 2013.
NOTES COMPLÉMENTAIRES SUR LE COEUR
EN PLACE, EMBAUMÉ, OU PERDU
EN ÉGYPTE
Richard-Alain JEAN
Pour réponde à une question posée à propos de la réintroduction du cœur dans le thorax d’une momie égyptienne au moment de la momification [1], il était important de rétablir et de préciser que si le cœur était parfois prélevé en même temps que les poumons, et même assez souvent, une momification « académique » devait consister à laisser le cœur en place [2]. Cette dernière solution ne pouvait être effectuée que par un anatomiste chevronné, ce qui explique que ce mode de traitement n’ait été réservé qu’aux embaumements de très grands prix. Cependant, les études approfondies de momies royales – comme par exemple celle de Ramsès II [3] – nous montrent que le cœur était aussi parfois enlevé puis réintroduit, et dans le cas précis de ce très grand souverain, probablement assujetti à sa paroi initiale avec des fils d’or. Alors on peut se demander pourquoi les spécialistes de l’époque furent amenés à procéder ainsi pour un pharaon. En réalité, on peut observer sur les momies « cœur laissé en place » que le l’organe pouvait être constaté éraflé, tailladé ou même bien entamé par le couteau de l’opérateur [4]. En effet, bien que « savant », ce dernier devait dans ces cas intervenir à l’aveugle, après effondrement partiel du diaphragme, et à partir d’une incisions abdominale latérale de plus en plus basse et réduite. Les risques lésionnels ont du être jugés trop importants pour la pièce anatomique représentante historique et théologique de la « mémoire divine » (jb) [5]. C’est sans doute pour ces raisons, que tout bien pensé, et peut-être en accord avec le roi de son vivant, le clergé préféra intervenir « au jour » sur le cœur du Souverain Pontife [6]. Il fut ensuite convenu de le traiter de façon optimum, de l’habiller d’étoffes précieuses et enfin de le fixer par des sutures appropriées et réputées inaltérables « dans sa place ». Le cœur a été localisé après examen vers la droite de la cavité thoracique et l’orientation de la courbure d’une partie visible de la crosse de l’aorte est inversée. Il faut également noter que sur beaucoup de momies dont le cœur n’a pas été ôté, on peut remarquer que l’organe subissait une rotation à droite. Des difficultés techniques de repositionnement ont été évoquées pour tenter d’expliquer ce fait. Or, le hiéroglyphe représentant le cœur semble en montrer idéalement la face postérieure dégageant bien à la vue de l’observateur l’artère coronaire droite et l’artère circonflexe comme pour signifier un cœur irrigué jusqu’au bout, donc sain, « doué de vie ». Serait-ce pour cette raison, que remis en place ou laissé in situ, l’organe noble tendrait à être mis en situation de présenter sa face postérieure à un examinateur placé devant le sujet ? Nous aurions bien alors à faire à la représentation d’un cœur humain prêt à passer devant ces juges. Ainsi, les « scarabées de cœur » montrent aussi leur face postérieure et certains sont pourvus d’une tête humaine juchée à l’envers, comme retournée, sur le prothorax, afin de bien signifier sa « face active », sa formulation étant comprise comme « en dedans de lui », « vivace et efficiente » (Par exemple : Musée du Louvre N2780) [7]. Sur d’autres amulettes soignées, la tête du personnage est située sur le côté, comme en cours de rotation (Musée de Turin). La rotation bien achevée peut être montrée par un visage de face avec deux bras en cornaline adoptant bien la forme anatomique et la couleur des coronaires vues en face postérieure (Musée du Louvre). Peut-être que chez le sujet vivant le cœur était censé « s’exprimer » de l’avant et pointe à gauche (excentré), puis, dans son éternité souhaitée, à partir de l’autre côté, c’est-à-dire de son « occident » et droit (justifié) depuis le royaume d’Osiris.
Il faut toutefois souligner que ces modes onéreux d’interventions ne concernent que les pratiques « canoniques ». Dans la plupart des cas, si le cœur est retrouvé, il est positionné de toute autre façon. De même, les « paquets canopes » devant contenir des viscères sont généralement disposés sans rapport aucun avec l’anatomie humaine [8].
S’agissant plus spécialement du cœur, classiquement considéré par les Égyptiens comme « l’organe noble », souverain et porteur de conscience, il serait également possible de commencer à discerner dans cet abandon partiel des procédures théologales et qui mettent en jeu la renaissance même du sujet, une certaine émulation de très anciennes croyances au profit d’observations physiologiques plus réalistes. En ce qui concerne le reste des entrailles, nous avons vu, dans les articles précédents [9], que les différents « tractus » peuvent être menés par des organes, « seigneurs », eux aussi, dans la mesure où ils se réclament chacun d’une certaine indépendance en manifestant leur autonomie. De ce fait remarquable, le cœur « Seigneur historique et théologique » n’est pas le seul à s’exprimer ex cathedra à partir du « coffre thoracique » dans le concert corporel. L’exemple déjà évoqué de l’estomac qui se révolte en est une illustration. Bien que moins régulières, d’autres manifestations involontaires, comme les sensations et les bruits émis par le tube digestif peuvent être compris comme tels (borborygmes …). Les hoquets (myoclonies phrénoglottiques) ont pu être assimilés à des actions pulmonaires propres. Les oreilles pouvaient vibrer. Moins bruyants, les yeux pouvaient tressauter ou encore aller et venir (nystagmus). Les muscles peuvent bouger seuls … J’ai écrit ailleurs que d’autres sensations et mouvements internes non contrôlés pouvaient être susceptibles d’entraîner des troubles psychologiques sérieux, c’est par exemple le cas du foie et de l’utérus [10], et de certaines autres façons, du vagin [11], et, du placenta [12]. J’aurai l’occasion d’en reparler, car tous ces éléments organiques concourent à l’évolution de la pensée anthropologique et médicale en Égypte tout en s’éloignant peu à peu de la démonologie dans quelques milieux autorisés (Prêtres éclairés, médecins). Ainsi, tous les tractus formant un individu commenceraient à former une « personne » dont le cœur restera pourtant l’ambassadeur ultime.
N.B. La bonne compréhension de cet « article complémentaire » nécessite la lecture préalable du sujet principal : Richard-Alain JEAN, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, juin 2013, p. 42-46 (ISSN 1636-5224), et de : Richard-Alain JEAN, « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 avril 2013 (cf. supra).
[1] « Pendant la momification, le cœur est prélevé au niveau de l’incision abdominale latérale basse, traité, puis réintroduit dans le thorax du défunt. » : Richard-Alain JEAN, « La médecine égyptienne : ‘médecine cardiaque’ », Pharaon Magazine, 13, 2013, p. 44, col. 2-3.
[2] André Macke, Christiane MACKE-RIBET, Jacques CONNAN, dans Christian LEBLANC (édt.), Ta Set Neferou, une nécropole de Thèbes-Ouest et son histoire, V, Le Caire, 2002, p. 47-106.
[3] L. BALOUT, C. ROUBET, Chr. DESROCHES-NOBLECOURT, et al., La momie de Ramsès II – Contribution scientifique à l’égyptologie, Paris, 1985, p. 88-89, 91, 94, 303, 378, 384.
[4] Ces découvertes ont pu être réalisées à l’occasion d’essais préalables de momifications, et, de remise en place de dépouilles funéraires déjà agressées par des voleurs de l’époque.
[5] Voir aussi : Richard-Alain JEAN, La chirurgie en Égypte ancienne. À propos des instruments médico-chirurgicaux métalliques égyptiens conservés au musée du Louvre, Éditions Cybele, Paris, 2012, p. 18.
[6] C’est-à-dire à la fois roi et grand-prêtre.
[7] Voir encore : P. E. NEWBERRY, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire, N° 36001-37521, Scarab-shaped Seals, London, 1907, Planche VIII, n° 37198, et p. 300 ; G. A. RESNER, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire, N° 5218-6000 et 12001-12527, Amulets, Le Caire, 1907, Planche I, n° 5238 et p. 4 ; J.H. TAYLOR, Journey through tha afterlife - Ancient Egyptian Book of the Dead, The British Museum Press, London, 2010, n° 118 p. 229 (EA 29440 - XVIII-XIXe dyn).
[8] Voir par exemple les travaux de Françoise DUNAND et de Roger LICHTENBERG.
[9] Richard-Alain JEAN : « Médecine et chirurgie dans l’ancienne Égypte », dans Pharaon Magazine, n° 11 - Novembre 2012, p. 46-51 ; « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », dans Pharaon Magazine, n° 13, juin 2013, p. 42-46 ; « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 avril 2013.
[10] Richard-Alain JEAN, Anne-Marie LOYRETTE, « À propos des textes médicaux des Papyrus du Ramesseum nos III et IV, I : la gynécologie (1) », Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal (ERUV - III), Montpellier, S.H. AUFRÈRE (éd.), 2005, p. 363-364 (Symptômes hystériques) et note 77 p. 364 pour le foie (épisodes pulsatiles tumoraux).
[11] Richard-Alain JEAN, Anne-Marie LOYRETTE, « À propos des textes médicaux des Papyrus du Ramesseum nos III et IV, I : la contraception », Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal (ERUV - II), Montpellier, S.H. AUFRÈRE (éd.), 2001, p. 551-552 (penis captivus) et p. 556-558 (dyspareunie).
[12] Richard-Alain JEAN, Anne-Marie LOYRETTE, La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. AUFRÈRE (éd.), éd. L’Harmattan, coll. « Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne », 2010, p. 200 (détachement/migration du placenta).
CARDIOLOGIE - IV
- Richard-Alain JEAN, « La place du cœur dans les anthropologies égyptiennes et comparées. Perspective médicale », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 3 juin 2013.
LA PLACE DU CŒUR
DANS LES ANTHROPOLOGIES
ÉGYPTIENNES ET COMPARÉES.
PERSPECTIVE MÉDICALE.
Richard-Alain JEAN
1. Anthropologie égyptienne
Pour les égyptiens, les êtres vivants constituant les dieux et l’humanité étaient composés de différents principes complémentaires visibles et invisibles. Parmi ces éléments, tous rassemblés chez la personne durant la vie, certains pouvaient se dissocier et se mobiliser en dehors du corps après la mort. Bien que bénéficiant de propriétés particulières inhérentes aux fonctions divines, plusieurs de ces composants pouvaient être communs aux hommes et aux dieux [1].
Pour Jan Assnann [2], dans la représentation égyptienne de l’homme, la principale distinction se fait entre le « moi corporel » et le « moi social », c’est-à-dire entre une « sphère physique » et une « sphère sociale » de la personne qu’elle soit vivante ou morte :
D’autres auteurs éviteront les dichotomies « corps et âme ». Pour ma part, je retiendrai, dans cet article, et pour notre usage médical, que « le corps », « l’ombre » et « le nom » sont des composants terrestres, que « le ka » pourrait être à la fois terrestre et invisible et que « le ba » et « l’akh » sont des composants spirituels. Le « nom » semble les récapituler tous. En effet, je n’aborderai pas ici complètement la dynamique religieuse, car j’aurai l’occasion de l’envisager ailleurs et à chaque fois que cela sera nécessaire.
1.1. Les constituants physiques du vivant
Le « corps de chairs » (ḥʿw), ce « corps » (ẖt) avec tous ses « membres et organes » (ʿwt) est le réceptacle de chaque « centre/tractus » (jb) que le cœur (ḥȝty/jb) gouverne – en les atteignant tous jusque dans leurs terminaisons les plus fines, grâce aux « dispensateurs » (mtw) à travers desquels diffusent les fluides et les « forces » qui détermineront les instructions (involontaires) et les ordres (volontaires) et qui feront de lui un « corps animé ». Cet ensemble corporel est destiné à être réduit en « cadavre » (ẖȝt) au moment de la mort, mais, il a vocation à être transformé en « momie » (sʿḥ), car cette dernière « habilite » le corps à la survie dans l’au-delà.
Comme autant de « tractus » les viscères sont confiés aux quatre fils d’Horus dans les vases canopes ou plus simplement empaquetés. Il leurs revient alors de participer à reconstituer le défunt autant que sa personnalité (LdM, 137 A) [3].
1.2. Le cœur
Le cœur « myocarde » (ḥȝty) demeurait idéalement dans la momie. Mais dans la majorité des cas nous l’avons vu [4], le cœur pouvait rester le « grand absent » à un moment crucial. Alors, des textes judicieusement advenus en leurs temps nous précisent que le mort peut lui-même aller rechercher son organe oublié, et donc manquant, dans deux endroits prévues à cet effet : « la maison des cœurs (jbw) » et la « maison des cœurs (ḥȝtyw) » (TT 298, Baky et Ounnefer) [5], de façon à ce que, après cette excursion, celui-ci puisse enfin être remis « à sa place » (TT 100, Rekhmire) [6]. Cet événement était important, car en tant que « centre », il persistait à être considéré dans la religion comme le « siège » des pensées, de la conscience et de la volonté de l’individu et en conservait la mémoire après la mort. C’est donc à titre de « témoin de toute son existence » que l’organe sera confronté à Maât durant la psychostasie (LdM 125) [7]. Le jugement décidera de l’avenir mortuaire du défunt. Une fois « justifié », le trépassé pourra désormais revivre avec un « corps glorieux » (ḏt) aux résonnances cosmiques [8], c’est-à-dire, d’une certaine façon, les pieds sous la terre et la tête dans les étoiles, éclairé par les yeux divins dans le royaume d’Osiris, et sa physiologie organique fonctionnera comme de son vivant dans sa nouvelle corporalité.
Notons encore que le cœur est restitué par des déesses « mères », et que sa réintroduction est une intervention pratiquée par Anubis représentée dans des vignettes (LdM 26) [9]. La voie d’abord peut être comprise comme transthoracique [10]. Le dieu peut aussi être montré lui remettre en main propre (pNebseny) [11], ou encore lui faisant boire (TT 359, Inherkhâouy) [12], mais la symbolique est la même.
Perspective médicale
J’avais déjà commencé à situer le cœur dans une perspective médicale anthropologique pharaonique en distinguant une partie religieuse et une partie organique pure pour aider à définir les dépendances et les influences historiques [13]. Il restait à indiquer comment le cœur avait pu supplanter si longtemps le cerveau dans son rôle propre. Or, des occasions m’ont également été données de signaler plusieurs fois que dans le domaine chirurgical égyptien, les fractures de la boîte crânienne étaient abordées de manières particulières, comme celles des vertèbres cervicales ou des luxations. De plus, les paralysies qui pouvaient en découler étaient parfois très justement perçues, notamment la quadriplégie [14].
Selon les textes médicaux en effet, des signes neurologiques d’origine centrale pouvaient décider de la mise en place ou de l’arrêt du traitement. Les mêmes constatations locales entraînant les mêmes effets à distance, l’expérience du praticien doit bien les lui faire remarquer et comptabiliser certaines suites (notion statistique). Il est tout à fait possible, de cette façon, que les cliniciens aient fait la relation entre le cerveau, la moelle épinière et ces évènements dramatiques. Cependant, le corps médical ne devait pas être assez puissant pour contrer durablement sur ce point la théologie très liée au pouvoir qui traditionnellement reliait le cœur à la mémoire et à l’intelligence. Il est un fait que si le cerveau était détruit pendant la momification, le cœur, lui, était théoriquement pieusement conservé pour être remis au centre vital du défunt (jb). Le muscle cardiaque (ḥȝty), rejoignant ainsi les aspirations à la renaissance du pharaon toutes contenues dans son cœur intérieur (jb), c’est-à-dire celui-là même qui, sans doute depuis bien avant la perception de ces notions physiologiques, sera jugé en fonction de la justice personnifiée (Maât). Comme le roi était l’Horus vivant, il n’était plus possible de revenir en arrière, les légitimités antérieures et à venir en auraient été atteintes. La religion ne sut rectifier aucune des théologies locales dans la mesure où la dominante était solaire et devait le rester. Depuis, le cœur (ḥȝty) résonne en sa place au cœur (jb) de l’homme et représente le bruit de fond de sa pensée. Cette limite officielle a pu être transgressée oralement, et paradoxalement, au sein des temples où des « Maisons de vie » étaient habilitées à enseigner la médecine. Puis, les savants ont pu considérer le symbole en dissociant intellectuellement les deux moments de cette double représentation, les prêtres s’occupant du cœur religieux et les médecins du cœur organique quelle que soit sa dénomination [15]. Des indices existent. Ceux-ci peuvent également concerner d’autres parties organiques. Parfois même, certaines indications suggèrent « la face cachée » de tractus particuliers, par exemple pour « surveiller » la partie non visible des organes comme ce qui est « (habituellement) voilé aux regard, à l’encontre des personnes » (pEbers 811. 12c) [16]. Enfin, le pas sera franchi en langue grecque à Alexandrie. Il faut encore faire remarquer que la Divinité dans la Bible « sonde les reins et les cœurs » (ex : AT Jér 11,20 ; NT Apoc 2,3) [17], que l’on retrouve des notions semblables en arabe, puis dans les langues occidentales comme en français les expressions « avoir du cœur », « en avoir gros sur le cœur ».
2. Anthropologie comparée
Une étude plus approfondie de l’anthropologie comparée dépasserait le cadre de cet article [18]. Aussi je me limiterai à l’établissement d’un tableau récapitulatif des principaux composants humains (Comp. H) pharaoniques (Phar.), bibliques hébraïques (Bib. H), Bibliques Sapientiaux (Bib. S), grecs classiques (Grec), coptes (Copte), autres chrétiens (✠) et compatibles avec l’Égypte moderne toutes religions confondues (Ég. M).
Nous remarquerons seulement ici une simplification progressive avec un Dieu Unique dans l’Ancien Testament suivi d’une réduction anthropologique dans les Sapientiaux grecs [19], puis, d’une valorisation du même Dieu Unique dans le Nouveau Testament mais en Trois Personnes Divines (D3). Il faut noter la nouvelle dominante mâle (m.) divine et satanique, saufs parfois pour les puissances démoniaques (voir le Talmud et le Zohar), les bons anges de la Bible, eux, restant « neutres » (n.). En ce qui concerne l’humanité, elle perd sa sexualité dans son éternité chrétienne (Éphésiens, V,25) alors qu’elle lui était puissamment conservée dans son éternité pharaonique. Elle sera réhabilitée par l’Islam.
Il est ensuite normal de noter une considérable perte des notions organiques dans de qui doit devenir essentiellement spirituel et philosophique autant que religieux. Il est également remarquable de constater après étude que cette abrogation progressive débute très probablement dès la période égyptienne où pourtant elle était si prégnante.
Les progrès de la médecine se traduiront de façons inversement proportionnelles à partir des moments où les prêtres rendront les corps et leurs organes aux médecins. La désacralisation éloigne les obscurantismes tandis que la civilisation est porteuse et génératrice d’éthique.
[1] H. BRUNNER, « Anthropologie, religiöse », dans Lexicon der Ägyptologie, I, Wiesbaden, 1976, col. 303-311.
[2] J. ASSMANN, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne, Paris, 2003, p. 181-184. N.B. : Le tableau ne situe pas toutes les composantes, ce qui est normal dans sont contexte mortuaire.
[3] E.A.W. BUDGE, The Book of the Dead. The Chapters of coming forth by day, London, 1898, vol. II - Text, p. 303-312. P. Barguet, Le livre des morts des Anciens Égyptiens (LAPO 1), Cerf, Paris, 1967, p. 180-181. R.O. FAULKNER, O. GOELET, The Egyptian book of the dead, San Francisco, 1998 ou 2004, p. 115-116, ou, p. 127-128 de l’édition de 1985. C. CARRIER, Le Livre des Morts de l’Égypte ancienne, Éditions Cybele, Paris, Col. Melchat : Melchat 2 (2009), p. 523-524 (pAny) ; Melchat 3 (2010), p. 441-442 (pNouou) ; Melchat 5, (2011), p. 316 et pl. 69 p. 587 (pNebseny).
[4] R.-A. JEAN, « Notes complémentaires sur le cœur en place, embaumé, ou perdu en Égypte », Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 20 mai 2013 / publication électronique / http://medecineegypte.canalblog.com .
[5] BRUYÈRE, Rapport sur les fouilles de Deir el-Médineh, FIFAO 5,2, Le Caire, 1927, p. 92.
[6] N. de GARIS DAVIES, The Tomb of Rekh-mi-re at Thebes, New York, 1973, pl. 86. Voir aussi les autres références données par Assmann, op. cit, 2003, note 65 p. 603-604.
[7] E.A.W. BUDGE, The Book of the Dead. The Chapters of coming forth by day, London, 1898, vol. II - Text, p. 249-268. P. Barguet, Le livre des morts des Anciens Égyptiens (LAPO 1), Cerf, Paris, 1967, p. 157-164. R.O. FAULKNER, O. GOELET, The Egyptian book of the dead, San Francisco, 1998 ou 2004, pl. 30-31 et p. 115-116, ou, p. 29-34 de l’édition de 1985. C. CARRIER, Le Livre des Morts de l’Égypte ancienne, Éditions Cybele, Paris, Col. Melchat : Melchat 2 (2009), p. 429-462 (pAny) ; Melchat 3 (2010), p. 383-412 (pNouou) ; Melchat 5, (2011), p. 393-401 et pl. 53-62 p. 571-580 (pNebseny) ; Melchat 6 (2010), p. 427-451 et pl. 91-99 p. 835-843 (pIouefânkh).
[8] R.-A. JEAN, « La déesse Séchât, le bois silicifié, et la “ résurrection de la chair ” », Hommages à Madame Christiane Desroches Noblecourt - Memnonia, XXII, Le Caire - Paris, 2011, Christian LEBLANC (éd.), 2011, p. 199-214.
[9] ASSMANN, op. cit. 2003, p. 166. Vignettes : photos à ajouter (papyrus et stèles).
[10] R.-A. JEAN, « La médecine égyptienne – " Médecine cardiaque " : le cœur, l'infectiologie », Pharaon Magazine, n° 13 - Juin 2013, p. 44.
[11] C. CARRIER, Le Livre des Morts de l’Égypte ancienne, Éditions Cybele, Paris, Col. Melchat : Melchat 5, (2011), pl. 16 p. 534 (pNebseny) d’après Naville (1886, I, pl. XXXVII).
[12] N. CHERPION, J.-P. CORTEGGIANI, La tombe d'Inherkhaouy (tt 359) à Deir el-Medina, II, MIFAO 128, Le Caire, 2010, planches. Voir aussi : Th. BENDERITTER, Osiris.net, Les deux tombes d'Inerkhaou, p. 4, scène XII (vue 25bis : http://www.osirisnet.net/tombes/artisans/inerkhaou359/inerkhaou359_04.htm).
[13] R.-A. JEAN, « Notes complémentaires sur le cœur en Égypte », Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 06 mai 2013 / publication électronique / http://medecineegypte.canalblog.com , Conclusion et Fig. 9.
[14] R.-A. JEAN, A.-M. LOYRETTE, « À propos des textes médicaux des Papyrus du Ramesseum nos III et IV, I : la reproduction », dans Encyclopédie Religieuse de l’Univers Végétal (ERUV - II), Montpellier, S.H. AUFRÈRE (éd.), 2001, p. 546-547.
[15] R.-A. JEAN, La chirurgie en Égypte ancienne. À propos des instruments médico-chirurgicaux métalliques égyptiens conservés au musée du Louvre, Éditions Cybele, Paris, 2012, p. 18.
[16] R.-A. JEAN, A.-M. LOYRETTE, La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. AUFRÈRE (éd.), éd. L’Harmattan, coll. Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne, 2010, p. 379-380 et 386-391 et tableau 22.
[17] Bible Joseph Trinquet, Éditions du Seuil, Paris, 1973 : Job 16,13b (p. 1127) ; Ps 26,2 (p. 1187) ; Sg 1,6c-d, avec la langue en e (p. 1387) ; Jér 11,20b (p. 1685) ; Jér 17,10a-b (p. 1695) ; Jér 20,12a-b (p. 1700) ; Apoc 2,23b (p. 2557).
[18] Voir par exemple : J. LAMBERT, Le Dieu distribué : Une anthropologie comparée des monothéismes, éditions du Cerf, Paris, 1995 ; M. DESTIENNE, Les Grecs et nous : Une anthropologie comparée de la Grèce ancienne, éditions Perrin, Paris, 2005.
[19] A. GELIN, L’homme selon la Bible, Paris, 1968, p. 9-26.
Deux conclusions complémentaires sur le coeur et le cerveau :
- Richard-Alain JEAN, « Le cœur cérébral en Égypte ancienne », dansHistoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 27 juin 2013.
- Richard-Alain JEAN, « Le cerveau cardial en Égypte ancienne », dansHistoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 29 juin 2013.
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Un autre article sur la physiologie :
- Richard-Alain JEAN, « Un peu de physiologie égyptienne (1) : Quelques exemples de cinétique fonctionnelle égyptienne (a), anatomie et dynamique des membres inférieurs », dans Histoire de la médecine en Égypte ancienne, Cherbourg, 23 avril 2013.
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